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l’imagination, du cœur, un goût instinctif des lettres, le sens inné de notre tradition. Rien de pédantesque, ni de morose ; un enseignement simple, clair, vivant, qui avait pour âme l’admiration des belles choses. Des maîtres savans et modestes, passionnés pour les œuvres dont ils faisaient les honneurs à leur jeune auditoire. Alfred Mézières eut, au lycée de Metz, un de ces professeurs excellens, comme on en trouvait même dans de moindres collèges. « M. Gelle parlait de ses auteurs favoris avec un feu, avec un enthousiasme communicatifs. Il ne se contentait pas de nous expliquer les belles œuvres, il nous en faisait sentir le charme ou la puissance en termes pleins de chaleur. » On reconnaît là cette « manière française, » que, malheureusement, dans ces dernières années, nous avions sacrifiée à la « manière allemande. » Elle consiste à étudier d’abord les œuvres classiques comme des œuvres d’art pour en faire ressortir la beauté, et à dégager ensuite le contenu moral qu’elles enferment. C’est elle que le pays, éclairé par la crise actuelle, souhaite de voir appliquer de nouveau à ses enfans. On sait que, par une circulaire adressée aux recteurs à la veille de la rentrée des classes, le ministre vient de donner une première et éclatante satisfaction à l’opinion, en prescrivant le retour à cette méthode traditionnelle qu’il a définie avec une parfaite précision.

Un des rites de la préparation à l’Ecole normale était que les candidats provinciaux vinssent achever leurs études à Paris. Mézières eut pour professeurs à Louis-le-Grand des humanistes fameux : Rinn, Lemaire, Eugène Despois. Rue d’Ulm, — et d’abord rue Saint-Jacques, — ses camarades s’appelèrent Beulé, Caro, Eugène Manuel, Challemel-Lacour, Weiss, Assolant, Pasteur. Or, c’était en 1848. Cette année-là, on ne s’ennuya pas à l’Ecole normale. Depuis 1830, la jeunesse des écoles était populaire. En février, aux premiers bruits de la révolution, des normaliens descendirent par la fenêtre pour se joindre aux insurgés. Ce fut alors la vie dans la rue, une aventure par jour et le carnaval tous les jours. Beulé est bombardé sous-préfet ; Mézières est envoyé en mission pour rétablir la circulation sur la voie ferrée entre Paris et Rouen. Il porte une écharpe tricolore et un sabre de cavalerie à la ceinture. Le besoin d’un costume se faisait sentir : on en improvise un, ridicule à souhait, et l’Ecole s’organise militairement. Retour de mission, l’élève Mézières, promu officier de quelque chose,