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faute. Avons-nous besoin de dire quel en serait l’effet sur les pays balkaniques qui, spectateurs timorés des événemens, hésitans, perplexes, ne savent pas encore de quel côté ils doivent se tourner. Notre départ de Salonique serait le dernier coup : ils s’orienteraient définitivement vers les empires du Centre, et nous n’aurions aucun reproche à leur en faire, car nous nous serions abandonnés et trahis les premiers. L’effet produit sur les neutres, sur tous les neutres, serait décisif. Leurs tendances avouées les portent vers le plus fort ; nous ne leur donnerions pas l’impression de l’être ; on ne la donne pas lorsque, après avoir occupé une position forte, on la déserte et on s’en va. Aussi voyons-nous très bien ce que nous avons à faire ; mais les partisans de l’évacuation nous demandent, avec un air sceptique, si nous en avons les moyens. Il faut ici répondre très nettement qu’à nous seuls, nous ne les avons pas. La question est donc de savoir si nous pouvons compter sur le concours de nos alliés.

Les Anglais ! Ce sont les seuls qui nous aient accompagnés à Salonique, mais avec combien d’hésitations, de restrictions et de réserves ! Les discours de leurs ministres ont été plus d’une fois déconcertans. Un jour, ils disaient sans ambages qu’il était trop tard, que nos efforts pour secourir les Serbes seraient inefficaces, que le mal était déjà fait et qu’il était irréparable. Nous aurions compris ce langage à Berlin, mais à Londres ! Il est vrai que, le lendemain, les ministres anglais en tenaient un autre ; ils parlaient de la Serbie avec la sympathie la plus vive et déclaraient très haut que le rétablissement de ses affaires, de son intégrité territoriale, de son indépendance, de sa souveraineté, était un des buts essentiels de la guerre. C’était se donner beaucoup de devoirs dans l’avenir, quand il aurait été plus court et plus sûr de les remplir dans le présent. Le gouvernement anglais a continué ainsi de faire un pas en avant et deux en arrière, ou quelquefois le contraire, sans jamais adopter une marche ferme et continue. On l’a vu, par moment, sur le point de tout lâcher. Il fallait alors agir sur lui pour le ramener, et nous agissions sur lui, et nous le ramenions : mais c’était toujours à recommencer. Pour sortir de ces hésitations, lord Kitchener est allé faire une enquête sur place. Quel en a été le résultat, on ne le sait pas, ou du moins on ne le dit pas encore, mais certainement il en a été question à Calais. Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne, et la presse anglaise le dit assez haut, que la principale préoccupation du gouvernement britannique est en ce moment l’Égypte. C’est un grand