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des erreurs et des crimes des hommes a fait donner inévitablement par les nations à leurs dieux les mœurs, le caractère et les inclinations humaines jusqu’au moment où le Ciel même nous dota d’un culte tout céleste, dont la religion naturelle est la base ; religion qui fait disparaître parmi les hommes l’inégalité de leur nature qui vient de Dieu et qui y ramène sans cesse ; dont la morale, supérieure à celle des philosophes de tous les âges, dépose sans cesse contre le fanatisme de ses ministres et contre les superstitions de ses adorateurs ; religion sublime qui embrasse tous les lieux comme elle embrasse tous les temps, sous lesquels le genre humain forme une même famille, qui, n’ayant qu’un Dieu, n’a plus qu’un père et dont le culte épuré, ramenant seul à la liberté première des cœurs flétris par l’opprobre, asservis par les préjugés, serait encore le chef-d’œuvre de la politique humaine, quand il ne serait pas notre Code sacré, et donnerait la clef de tous les problèmes qui ont égaré ou fatigué les sages. En effet, s’il est un Dieu pour nous protéger dans les espaces sans bornes de l’éternité, qu’importe que cette vie passagère, cette vie d’un instant soit agitée de quelques orages ? Qu’importe que les riches foulent les pauvres et voient en eux une espèce étrangère ; que les hommes soient assez lâches pour regarder l’oppression comme un droit et l’égalité comme une chimère, assez imbéciles pour se croire destinés à être esclaves dans leur virilité, parce qu’ils sont écrasés dès l’enfance ? Qu’importe que les méchans puissent insulter à la vertu ; que les événemens la fassent méconnaître ? Qu’on la déshonore aujourd’hui par les mêmes noms, par les mêmes actions qui la faisaient autrefois diviniser à Rome ? Que la malignité et la faiblesse confondent la licence, qui veut tout détruire, avec l’amour du bien, qui ne veut changer que le mal, qui ne demande que la liberté des lois qui l’assurent ! Qu’importe que la calomnie, en passant, souille les gens de son venin et que les pleurs assidus de l’homme misérable ne puissent effacer en entier la tache de la calomnie qui ne répond jamais, qui jette son poison subtil, qui infecte et corrompt tout ce qu’elle touche ? En vain, l’innocence, obligée de fuir pour n’être pas égorgée, atteste le crime des lois ; en vain, les coupables sont plus nombreux et plus forts que les juges et les corrompent ; en vain, l’astuce perfide et l’hypocrisie hideuse et l’ambition effrénée triomphent du patriotisme le plus pur, des meilleures intentions et des demandes les plus