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revers imprévus, le moyen le plus sûr, loin d’être le crime, comme le supposent ceux qui croient à la prospérité des méchans, est au contraire la pratique de la vertu, la réputation de probité, d’activité, d’exactitude à ses devoirs.

Si l’on veut se convaincre de cette vérité, chacun de nous n’a qu’à se consulter soi-même et se demander lequel il choisirait pour lui donner une place de confiance, pour avoir affaire à lui dans le commerce ou pour toute autre relation de l’homme vertueux ou du malhonnête homme. Il n’est personne, sans doute, qui n’aimât mieux se fier à l’homme de bien, et les méchans même pensent ainsi pour les places dont ils disposent, car ils veulent être bien servis. De cette disposition générale, il résulte en faveur de l’homme estimable une sorte de bruit commun qui le porte aux emplois, qui lui attire les affaires avantageuses, qui lui prépare partout des amis et des protecteurs. L’homme, perdu de réputation, ne trouve rien de tout cela. Le méchant ne peut l’espérer qu’en affectant des vertus, car il faut au moins leur apparence pour réussir sans elles ; mais des vertus qui ne sont qu’apparentes se démentent bientôt, et l’indignation ne s’en élève que plus évidente contre ceux qui ont trompé l’opinion publique. Ainsi, le méchant n’est-il jamais sans danger. L’homme de bien, au contraire, qui ne se masque pas et ne montre que des vertus réelles, ne craint point de perdre l’estime universelle, qui est la base de ses succès. Les plus grands revers ne le dérangent que peu ; il lui reste toujours une foule de moyens pour se relever. La prospérité du méchant ne tient qu’à un fil, que le moindre accident peut couper, et qui ne se renoue jamais. Celle de l’homme vertueux est comme attachée à une barre de fer dentelée. Les événemens les plus contraires ne peuvent le faire reculer que d’un demi-cran. Le cran inférieur, qui est la bonne réputation, reste, jusqu’à ce qu’une impulsion nouvelle fasse regagner quelques nouveaux crans de fortune à celui qui a mérité que son nom le protégeât.

Convenez, ô mes frères, que, sous tous les aspects, et sans qu’il soit même besoin de la considération d’une autre vie, l’intérêt direct, visible, grossier même, des hommes, dans celle-ci, est de marcher d’un pied ferme dans le sentier de la Vertu, et qu’ainsi il est faux à tous égards que, dans ce monde, le sort des méchans soit préférable à celui des gens de bien. Eh ! Sans