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d’ailleurs très justifiée, et fut le maître de Van der Heltz.

Les « Marannes, » échappés d’Espagne ou de Portugal, croyaient y retrouver le temps de Salomon, parce qu’ils n’étaient plus astreints à aucune pratique infamante et qu’ils pouvaient vivre là, entre eux, sous leurs lois rituelles, sans porter dans leurs rues, ni dans les autres quartiers de la ville, ces rouelles de drap et ces bonnets jaunes qu’ils avaient subis si longtemps ; ils retrouvaient en leurs « Parnassim » une autre Inquisition tout aussi tracassière, mais non pas sanguinaire, il est vrai, qui pour les moindres quasi-délits plus ou moins imaginaires, les imposaient d’amendes et de corvées, — comme au temps de Salomon, — et qu’ils acceptaient bénévolement en songeant aux géhennes de la péninsule ibérique.

Les « Parnassim » étaient alors le vieil Isaac Aboad da Fonseca, patriarche rigoriste et redouté, le grand prêtre des Synagogues ; Orobio de Castro ; Rabbi Saül Lévi Morteira, qui fut le maître de Spinoza ; puis Ménassé-Ben-Israël. — Ce sont eux que Rembrandt a figurés dans son estampe de la Synagogue portugaise.

Dès 1636, alors qu’il habitait une autre maison de la Breedstraat, de l’autre côté de l’écluse, Rembrandt avait fait le portrait de Menasse, puis cette eau-forte rapide et libre comme un témoignage d’amitié griffonné pendant une visite, où le médecin et le théologien portugais est représenté sous un grand chapeau à bords relevés, les yeux vifs, la moustache et la barbe noire avec un grand col de linge blanc, sur le costume hollandais de l’époque, où il semble un peu corpulent. — Ce Ménassé-ben-Israël était déjà une grande figure israélite, à cet âge de 32 ans, certifié par la date de cette estampe. Il venait de publier son premier livre, De creatione problematica et de resurrectione mortuorum. Sa grande science théologique, sa connaissance parfaite de l’hébreu, du latin, du hollandais et de l’espagnol l’avait fait nommer, à dix-sept ans, professeur à l’école judaïque, « la Keter-thora, » cette « Couronne de la Loi » qu’il devait diriger dès 1639, et où Spinoza fut élevé jusqu’en 1651. Il était de l’illustre famille des Abravanel et prétendait descendre du roi Psalmiste. Prédicateur éloquent, un peu illuminé, il prêchait l’union, la tolérance entre toutes les Eglises issues du vieux mythe israélite : la révélation directe de Dieu au père de sa race, Abraham. Son esprit de haute tolérance, son inépuisable