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où l’eau ne se renouvelait presque jamais ; à tel point, qu’une riche juive étrangère, passant à Amsterdam, et obligée par les Parnassim à se baigner dans cette eau répugnante, demanda avant d’y entrer : « Mais lorsqu’on est purifiée, où se lave-t-on ? »

L’immersion complète de toute la peau étant rigoureusement obligatoire, sous la surveillance de préposées fanatiques, on conçoit quel effroyable bouillon de cultures était cette unique piscine, pour les dix mille femmes qui devaient s’y polluer, sous prétexte de purification mensuelle.

L’épidémie devint bientôt si cruelle que, le 7 de septembre 1655, le Magistrat d’Amsterdam publiait cet arrêté pour ordonner des prières publiques : « Nous remarquons avec un sensible déplaisir et une expérience très funeste combien la maladie contagieuse va s’augmentant ici de jour en jour, et combien elle désole ce peuple ; ne pouvant croire autre chose, sinon que ses charbons ardens sont allumés par la colère divine pour la punition de nos péchés, qui l’ont obligée à nous affliger de ce fléau, après celui des dernières guerres, afin de nous porter, par ces puissantes voyes à nous mettre en état de coupables contrits et humiliés devant la divine Majesté ; ordonnons qu’on fasse tous les mercredis, au soir, en chaque grande église, un sermon et des prières pour tâcher d’arrêter le cours de cette horrible maladie. »

Peut-être bien que l’épidémie se serait arrêtée plus vite, si les braves « Seigneurs et Bourgmestres, » qui avaient tous signé ce document, avaient obligé les gens à rester chacun chez soi, au lieu de les forcer à se réunir en foule, une fois de plus par semaine, pour échanger les germes de la contagion. Mais c’était sur les instances des pasteurs et des prêtres qu’ils avaient pris cette délibération solennelle, et l’on sait que, dans les époques de calamité publique, la voix de ceux-ci s’élève toujours à un ton si prophétique, qu’il était bien difficile au gouvernement de ne pas couvrir sa responsabilité en ordonnant des prières communes.

Dans ces conditions particulières et durant cette effroyable peste qui ravageait particulièrement le quartier juif, les Rabbins, comme ailleurs les pasteurs et prêtres de tous rites, avaient la partie belle pour dénoncer les hérésiarques, les esprits forts qui, par leurs audaces de pensée, attiraient la colère céleste sur la communauté des fidèles.