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décorum et une tenue distinguée, pour être agréable à la fille noble qu’il avait épousée, il laissa bientôt paraître tous les dehors de sa nature indépendante. Bernard Keilh qui l’appelle un « humoriste de première classe, se moquant de tout, » Sandrart qui, l’ayant connu, le présente « comme un grand laborieux à l’esprit singulier, » sont d’accord, avec Samuel Van Hoogstraten, pour indiquer chez le maître une tendance à rompre avec bien des préjugés de son époque.

« Il est certain que s’il avait su s’arranger avec les gens et conduire ses affaires avec raison, il aurait accru considérablement ses ressources ; car, quoiqu’il ne fût pas un dissipateur, il ne sut pas conserver sa fortune, ni sa condition, en ne fréquentant que des personnes d’extraction vulgaire ; son talent s’en est ressenti. » Voici la déclaration assez malveillante de Sandrart que vient confirmer cependant un aveu de Rembrandt, en 1658. À cette date, après sa faillite, il déclara, qu’en 1647, les parens de Saskia, émus des bruits fâcheux qui couraient sur le peintre et pris d’inquiétudes pour l’avoir du petit Titus, l’avaient interrogé sur la succession de Saskia et qu’il avait, alors, dressé un inventaire. Sans doute, le peintre se livrait déjà à ses vastes opérations de négoce, signalées par Bernard Keilh, et qui lui faisaient donner des ordres dans les grandes villes de l’Europe, pour créer un cours forcé à la valeur de ses eaux-fortes.

Peut-être, même, dès cette époque, Rembrandt avait-il frété quelqu’un de ces navires chargés d’objets d’art que les Dunkerquois ou les Barbaresques lui confisquèrent, ou que la mer dut engloutir, si l’on s’en rapporte à la déclaration qu’il fit par écrit et de sa main devant la chambre des Insolvables, pour expliquer son impossibilité provisoire de faire face à tous ses engagemens vis-à-vis de ses créanciers. L’éminent docteur Brédius a récemment découvert cette pièce suggestive qui jette un jour si curieux sur les à-côté de la vie du peintre, et nous le montre entraîné par la folie du négoce, qui sévissait alors dans cette ville et qui a tant impressionné Descartes.

Puis il y eut, en 1649, un premier scandale public qui lui aliéna bien des sympathies. C’est une affaire graveleuse qui fut portée jusque devant les Bourgmestres et dut lui attirer bien des reproches des rigoristes protestans. La nourrice sèche du petit Titus, Geertghe Dircksz, veuve du trompette Abraham Claës,