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ses affaires en feignant de veiller aux intérêts du dernier enfant de Saskia. A cet effet, ils l’obligèrent à déclarer, à la Chambre des Orphelins, que la maison de la Breedestraat était l’héritage maternel de son fils Titus âgé de quinze ans, et qu’il transférait les hypothèques de cet immeuble sur la totalité de ses autres biens présens et futurs. Cette déclaration n’aurait, certes, pas été du goût de créanciers ordinaires ayant leur gage sur cette maison ; mais il est inadmissible de croire que ce soient ces maladresses et ces compromissions qui aient pu motiver leur demande en faillite. Ils étaient puissamment riches ; aucun d’eux n’avait un intérêt personnel sérieux à cette démarche qui devait ruiner le peintre, en pleine production abondante et recherchée. En jetant, brusquement, sur le marché toutes les œuvres de sa main qu’il conservait dans son atelier, et toutes ses collections précieuses, ils risquaient, au contraire, de ne pas rentrer dans leurs créances, en avilissant à la fois leur gage et les œuvres futures de Rembrandt, qui ne leur devait que 12 000 florins.

La preuve formelle d’une coalition contre le peintre est bien nettement indiquée dans une série de documens notariés qui ne peuvent laisser aucun doute sur tout un ensemble de manœuvres tendant à le ruiner et à l’empêcher de se relever.

Vosmaër a cru que la mévente de ses collections et de son immeuble était due à la situation difficile des affaires en 1657. Il n’en est rien ; puisque précisément cette année-là, et peu de mois avant la mise à l’encan de ses précieuses œuvres d’atelier, on vendit, chez Johannes de Rénialme, dix petits tableaux du maître à des prix énormes pour l’époque : « la Femme adultère, » qui est aujourd’hui à la National Gallery, fut vendue 1 500 florins ; « Lazare ressuscité, » 600 florins ; une descente de Croix, 400 florins, et « Esther et Assuérus » en fit 350. Seulement ces tableaux n’étaient plus sa propriété ! À ce taux, la vente de Rembrandt aurait dû faire un total d’au moins 200 000 florins, alors qu’elle n’atteignit, en deux fois, à de longs intervalles, pas même la somme de 5 000 florins, comme si on avait organisé la désertion des enchères autour de cette liquidation d’objets d’art annoncée depuis dix-huit mois[1].

  1. Rembrandt vit notamment saisir, le 26 juillet 1656, 58 œuvres de sa main, un Michel-Ange, 3 Raphaël, 2 Palma le Vieux, un Giorgione, des Carrache, des Lucas de Leyde, un Van Eyek, plusieurs statues antiques, 18 bustes d’empereurs et de personnages célèbres, un bouclier de Quintin Matsys et une énorme quantité d’estampes rarissimes de toutes les écoles.