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à leur tour facteurs de puissance et de richesse. Mais il eût fallu pour cela de longues immobilisations du capital national, dont précisément, au lendemain de 1870, l’Allemagne avait besoin chez elle, et ne pouvait guère distraire d’importantes fractions au dehors. Au contraire, en allant s’installer dans des pays organisés, mais encore en croissance, ces familles allemandes étaient pour leur mère patrie non pas une charge, mais une clientèle morale et commerciale. Le développement financier des jeunes sociétés auxquelles elles allaient porter leur travail n’était-il pas assuré par des capitaux non allemands et, chose au moins piquante, parfois même par des capitaux français ? D’ailleurs, par leur caractère laborieux et tenace, ainsi que par leur instruction générale et technique, supérieure à celle de la moyenne des autres émigrans, ces colons allemands parvenaient peu à peu à des situations importantes, non seulement par la richesse personnelle qu’ils avaient créée, mais encore par l’influence qu’ils arrivaient à prendre dans les affaires publiques de leur nouveau pays.

De nombreuses publications de polémique nous ont révélé depuis la guerre l’importance qu’avaient acquise ces influences en France même ut en Angleterre. L’Histoire de l’Allemagne, publiée en 1914 par les pangermanistes sous le pseudonyme de Einhart, comptait respectivement 500 000 Allemands en France et 1 200 000 en Angleterre et, pour exagérés que soient sans doute ces chiffres, ils n’en donnent pas moins à penser ! Qui ne sait que les Germano-Américains, c’est-à-dire les descendans des émigrés allemands aux États-Unis, sont actuellement plus de 12 millions ? Il n’y en aurait pas moins de 400 000 au Canada, 450 000 au Brésil, 40 000 en Argentine et une trentaine de mille dans le reste de l’Amérique du Sud. Les pangermanistes comptent de même comme des leurs 50 000 résidens en Roumanie, 20 000 en Turquie et une dizaine de milliers dans les autres États balkaniques. Ils soulignent l’importance de leur apport au peuplement de certaines colonies anglaises, telles que l’Afrique du Sud et l’Australie. Quant à l’Empire russe, Einhart et ses émules ne manquent pas une occasion d’insister sur les centaines de milliers d’Allemands qui y constituent les « avant-postes de l’Empire. » C’est ainsi qu’ils affectent évidemment de considérer les provinces balkaniques (Esthonie, Livonie, Courlande) comme un pays historiquement allemand,