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mener à bien, selon les procédés scientifiques, une enquête sur l’homme. Ses deux moyens : l’observation, la psychologie.

C’est alors qu’intervient Gilbert Augustin-Thierry. Et il dit aux romanciers : — Vous avez tort, « explorateurs de l’immensité de l’âme humaine, » de limiter votre enquête à l’homme contemporain. Vous regardez le présent ; vous négligez le passé. Mais le présent tient au passé ; l’homme contemporain dérive du vieil homme. Cherchez dans le passé les origines des jours nouveaux et le principe de leur explication. Comme le présent n’est qu’un épisode de la durée, le roman contemporain n’est qu’un chapitre de votre enquête. Vous vous trompez en n’accordant au roman d’histoire que la petite place qui convient à une variété du roman : le roman doit être surtout historique.

Voilà, pour Gilbert Augustin-Thierry, la théorie d’un genre où il a très joliment excellé. Du reste, il en est de cette théorie de même que de toutes celles qu’ont jamais énoncées les écrivains : on y reconnaît les préférences particulières d’un écrivain, ses goûts, ses aptitudes ; les doctrines sont, pour la plupart, des passions une fois rédigées. Le méticuleux et romanesque Gilbert Augustin-Thierry trouvait, dans cette ingénieuse conception du roman historique, le meilleur emploi de ses qualités érudites et Imaginatives. Notons aussi que les théories ont leur avantage et leur conséquence. On les dédaigne volontiers et l’on dit : — Voyons l’œuvre, plutôt ! — Généralement, elles n’ont pas été inutiles : leurs grandes ambitions, ne fussent-elles pas toutes comblées, ont laissé dans l’œuvre ou lui ont communiqué un peu de leur grandeur. Quoi qu’il en soit de la Franciade et si nous sommes plus touchés des Sonnets à Hélène, la poésie amoureuse de Ronsard n’aurait ni le même accent ni la même beauté, si Ronsard ne s’était, en outre, avisé d’être un poète épique. Je ne sais si l’Aventure d’une âme en peine, le Capitaine Sans-Façon, la Savelli mettent « l’homme d’aujourd’hui face à face avec l’homme d’autrefois : » ce sont des livres qui ont, avec beaucoup d’attrait, de la dignité. Lentement élaborés, avec soin, pittoresques, et pittoresques sans artifice, mais par l’authentique réalité de ce qu’ils peignent, puis traités avec une prestesse heureuse, — il y a, dans l’Aventure d’une âme en peine, un peu d’encombrement ; il n’y en a plus dans le Capitaine Sans-Façon, ni dans la Savelli, — ce sont bien des romans, très pathétiques et dont la péripétie se déroule à merveille jusqu’à de rudes catastrophes. C’est de l’histoire : Gilbert Augustin-Thierry -veut que son roman soit « équitable ; » s’il nous présente et nous