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Monique, si gentiment raisonnable, si résolue à ne pas chavirer dans le délire de ses entours, si saine, — et pourtant marquée du stigmate ; — elle se débat contre la maladie : elle succombera. Elle est, dans une tempête qui souffle, une petite fleur, de couleur claire ; elle lutte : elle sera brisée. Sa force résiste un peu de temps, et puis l’abandonne : elle tombe, fanée, tuée. Monique, la victime de deux siècles de fatalité vigilante ! Monique, si jeune, et qui aurait voulu vivre, aimer ; Monique au désespoir, et désespérante !

Le Stigmate est le chef-d’œuvre de Gilbert Augustin-Thierry et, peut-être, un chef-d’œuvre. Il a mis dans ce roman de jadis et d’hier sa méditation la plus profonde et la plus originale, ses idées d’historien, de philosophe, son habileté d’artiste ingénu et malin, très audacieux, cette fois plus attentif que jamais à ne point dépasser l’audace utile. Quelques-unes de ses chimères ont ici leur expression la plus séduisante ; sa pensée la meilleure y domine. Et son chagrin ! Je ne crois pas que nul écrivain, parmi ceux d’aujourd’hui, ait vu sous un aspect plus sombre le sort de l’humanité, l’histoire, le passé qui survit dans le présent et la conjecture de l’avenir. Tous ses écrits ont quelque chose de farouche ; et Le Stigmate est plus farouche que le reste, en dépit de Monique, si touchante que, dans les ténèbres où elle apparaît, je la veux comparer à la petite Galeswinthe des temps mérovingiens : «… Jeune femme qu’une sorte de révélation intérieure semblait avertir du sort qui lui était réservé, figure mélancolique et douce qui traversa la barbarie mérovingienne, comme une apparition d’un autre siècle… On disait qu’une lampe de cristal suspendue près du tombeau de Galeswinthe, le jour de ses funérailles, s’était détachée sans que personne y portât la main et qu’elle était tombée sur le pavé de marbre sans se briser et sans s’éteindre… » Monique, avertie de son malheur, ressemble à Galeswinthe ; et Monique, marquée du stigmate, ressemble à l’humanité telle que Gilbert Augustin-Thierry nous la montre, sans cesse innocente et chargée des fautes anciennes, malheureuse et digne de pitié, digne de la lampe de cristal qu’allume à perpétuité l’intelligence triste sur sa tombe continuelle.

André Beaunier.