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invoqué. L’Angleterre a doublé ses impôts, ou peu s’en faut. Mais sa situation ne peut en aucune manière être comparée à la nôtre D’abord la charge fiscale a pesé jusqu’ici moins lourdement sur le contribuable anglais que sur le contribuable français : doubler les impôts de l’un et de l’autre produirait, sur celui-ci et sur celui-là, des effets très différens. De plus, l’Angleterre n’a pas été envahie comme la France. Quand on songe que huit de nos plus riches départemens sont occupés par les troupes allemandes, on sent de quelles ressources fiscales nous sommes privés : les Anglais, au contraire, jouissent de toutes les leurs. Et ce n’est pas tout : la production anglaise n’a pas été sensiblement diminuée par la guerre ; l’Angleterre continue de vendre sur tous les marchés du monde comme d’acheter ; nous sommes réduits à la seconde de ces opérations. Ce sont là, au point de vue des possibilités fiscales, de si profondes différences entre les deux pays qu’il serait imprudent que de vouloir procéder de l’un à l’autre par analogie. L’analogie pourrait être dans les mois, elle ne serait pas dans les choses. Enfin, il y a en Angleterre un impôt qui y existe et y fonctionne depuis longtemps, et qui n’est chez nous que sur le papier, l’impôt sur le revenu. Les Anglais ont l’instrument, nous ne l’avons pas encore, et nous n’avons même pas, en temps de guerre, la possibilité de le mettre en état de fonctionner. C’est ce que M. le ministre des Finances a exposé dans une lettre lumineuse qu’il a adressée à la Commission du budget de la Chambre, et dans un discours qu’il a prononcé à la tribune. Déjà, l’année dernière, la Chambre, tenant compte des circonstances, avait ajourné l’application de la loi au 1er janvier 1916. La situation est exactement la même qu’il y a un an, elle a même sensiblement empiré : il semblerait donc sensé de procéder à un nouvel ajournement. En dépit de la grande autorité qu’il a sur la Chambre, M. Ribot n’a pas réussi à le lui faire comprendre, ou plutôt à le lui faire admettre. Il est vrai que le Gouvernement, après lui avoir donné son avis, la laissée libre de voter comme elle voudrait. Elle a donc décidé que l’impôt sur le revenu serait perçu en 1916, et tout ce qu’elle a concédé est qu’il ne le serait pas nécessairement dès le 1er janvier, pourvu que le recouvrement en fût assuré avant le 31 décembre. Quand on a porté devant lui cette décision de la Chambre, le Sénat a protesté et M. le ministre des Finances, qui prêchait la conciliation, presque l’union sacrée entre les deux Chambres, y a perdu sa peine. Le Sénat a décidé que l’impôt sur le revenu ne serait appliqué qu’à partir du 1er janvier 1917, et il a voté en plus une