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MON ENQUÊTE EN ESPAGNE

Je dois confesser d’abord que je ne me flatte point de connaître l’Espagne. Voilà vingt-cinq ans que je vis en contact avec des Espagnols, soit dans leur pays même, soit dans le Nord de l’Afrique. Il ne se passe guère d’année sans que je fasse un séjour plus ou moins prolongé dans la Péninsule. Mais jusqu’aujourd’hui, je n’ai été, en somme, qu’un passant qui, en pays étranger, regarde ce qui l’amuse ou ce qui l’intéresse. Je ne suis pas un spécialiste de l’Espagne, ayant adopté une fois pour toutes un plan d’études et un sujet auquel on consacre une vie entière. Même si je l’eusse fait, j’entendrais toujours, comme un rappel à la modestie, ce que nous disait autrefois, à l’Ecole normale, le bon helléniste Edouard Tournier, surnommé le Juge : « On ne sait jamais le grec, on sait du grec. » Cet excellent Juge avait raison. On ne connaîtra sans doute jamais l’Espagne, mais on pourra savoir des choses, avoir vu des gens, contemplé des spectacles et des paysages d’Espagne. C’est toute ma prétention. J’ajoute que, même en la restreignant ainsi, j’ai peur de paraître encore outrecuidant, non pas peut-être aux nôtres, mais très probablement aux Espagnols. Etrange susceptibilité de caractère ! Ils se plaignent sans cesse que nous ne nous occupions pas d’eux, et, quand nous nous essayons de le faire, en toute diligence, en toute sympathie et même en toute admiration, ils se plaignent alors de notre maladresse et de notre incompréhension. Il y a ainsi, par le monde, de jolies femmes capricieuses, qui gémissent sans cesse de ne pas être comprises de leurs maris. Leurs adorateurs eux-mêmes ne les comprennent pas. Elles mourront incomprises.

Résignons-nous donc à cette mutuelle incompréhension de