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nationale, qui est extrême. Mais ce sont ces impondérables qui contribuent à créer l’atmosphère de l’opinion.

De toutes ces causes, minuscules ou grandes, prochaines ou éloignées, résulte cette conviction bien ancrée dans l’esprit de presque tous les catholiques espagnols : que la France a besoin d’être châtiée, en expiation de ses fautes. La doctrine de l’expiation est le fondement même du christianisme. Aucun catholique français ne songe à la rejeter. Mais ce qu’il y a d’incompréhensible et d’attristant, chez les Espagnols, c’est qu’à leurs yeux le châtiment de la France a pour corollaire la récompense de l’Allemagne. S’ils peuvent reprocher à nos gouvernans des violences contre l’Eglise, comment ne veulent-ils pas considérer que l’Allemagne en a commis de bien plus grandes contre la doctrine de l’Eglise, qu’elle mérite incomparablement plus d’être châtiée, elle qui justifie par des théories abominables les pires attentats contre le droit des gens et contre l’humanité ? Le plus inexpiable de tous les crimes, c’est le péché contre le Saint-Esprit.

A cela, les politiques répondent que l’Eglise n’est pas seulement une doctrine, qu’elle est aussi un gouvernement. Entre celui de la France et celui de l’Allemagne, il n’y a pas, disent-ils, à hésiter. D’un côté, l’ordre, la discipline, l’organisation matérielle et intellectuelle, l’esprit public contenu dans de justes limites, les forces révolutionnaires elles-mêmes solidement embrigadées. De l’autre, l’anarchie, le désordre, le gaspillage des énergies, le vagabondage des idées, une nation ivre de sa licence et livrée aux pires forces dissolvantes. Après cette comparaison sommaire, on nous répète :

— Pour notre malheur, nous ne vous avons que trop imités, vous autres Français : tout ce que nous avons de mal nous vient de vous, notre parlementarisme, notre bureaucratie, notre centralisation administrative. Au fond, nous sommes des individualistes, des régionalistes irréductibles. Nous sommes une démocratie catholique, divisée en une foule de petites républiques locales, sous la présidence d’un souverain héréditaire, ou du moins c’est ce que nous voudrions redevenir. Votre système politique est on ne peut plus opposé à notre caractère !….

On reconnaît là l’essentiel des théories carlistes. Mais la grande masse des conservateurs espagnols n’en est pas moins