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d’autres peuples, sont relativement accidentelles. Avec la France, nous pourrions, demain, nous autres Espagnols, resserrer nos relations. Mais avec l’Angleterre ?… Avec l’Angleterre, jamais[1]… ! » (Applaudissems.) Néanmoins, il est inévitable que la haine vouée à notre alliée rejaillisse sur nous, d’autant plus que celle-ci est plus détestée. Depuis le commencement de la guerre actuelle, on s’est mis à l’exécrer cordialement en Espagne. C’est elle la véritable ennemie héréditaire, l’ennemie irréconciliable. Sans doute, on ne lui avait jamais pardonné l’occupation de Gibraltar. Mais, avant l’année dernière, ce ressentiment ne se manifestait guère, du moins dans la masse profonde du peuple espagnol. Pour ma part, même en Andalousie, je n’avais jamais entendu dire de mal des Anglais, bien au contraire. Cette haine de la perfide Albion n’était cultivée que par quelques intellectuels, historiens et littérateurs. Il a fallu cette guerre, le subit espoir d’une reconquête possible du fameux rocher, et surtout la suggestion allemande, pour que cette haine devînt populaire et agitât toute la Péninsule. Nos ennemis ont très habilement encouragé ces espoirs de revanche. Ils n’ont pas eu d’ailleurs grand’chose à faire pour cela, ils n’ont eu qu’à laisser aller l’imagination espagnole : celle-ci se voit déjà à Gibraltar, elle rêve d’extensions territoriales au Maroc, d’une fédération avec le Portugal, d’on ne sait quelle hégémonie sur l’Amérique du Sud.

Cette dernière partie du programme est peut-être celle qui fascine le plus l’opinion. En réalité, on ne devine pas très bien en quoi pourrait consister cette hégémonie. On parle de resserrer les relations commerciales et intellectuelles avec les anciennes colonies d’Amérique, de multiplier les lignes de navigation entre celles-ci et la métropole, et, par-delà ces résultats assez ordinaires, on en espère, on en pressent d’autres, que l’on se garde bien de définir, mais qui seraient éblouissans. Quoi qu’il en soit, ce projet d’alliance hispano-américaine est dans l’air. Il a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pour les journalistes et les conférenciers, c’est devenu un sujet de prédilection, presque un lieu commun. Celui qui le traite est toujours sur d’exciter l’enthousiasme de son public. J’ai entendu un conférencier parler après tant d’autres sur ce beau sujet.

  1. El idéal de España, los très dogmas nationales, por el Excmo. Sr. D. Juan Vazquez de Melle, p. 56.