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Il est, une fois pour toutes, imprégné de Voltaire et de Racine : vous entendez bien qu’il s’agit de Louis Racine, dont le poème sur la Religion eut, au début du XIXe siècle, sa plus grande vogue. Il a lu pareillement Parny, Bertin, Gresset, et il a versifié à leur imitation : les quatre livres d’élégies, dont il a fait un beau jour le sacrifice, étaient dans cette manière, qui fut sa première manière et dont nous pouvons nous faire une idée par les morceaux conservés dans la Correspondance. Il goûtait dans ces petits poètes du XVIIIe siècle une nuance de tendresse encore superficielle et de sensibilité fugitive. Les Anglais lui enseignèrent la mélancolie, la rêverie triste, délicieusement triste, dans les brumes du paysage et dans les brumes de l’âme. Ossian plus que tout autre. « Ossian fut l’Homère de mes premières années : je lui dois une partie de la mélancolie de mes pinceaux. » Mais Young presque autant qu’Ossian. Nous avons coutume de railler Baour Lormian, — ou Lormian Baour, — et d’être sévères à Letourneur coupable de n’avoir pas traduit littéralement Shakspeare. Il serait plus juste de reconnaître tout ce que nous leur devons pour les nouveautés qu’ils ont acclimatées chez nous. Ajoutez le désenchantement de Werther et la notion de l’infini que Virieu avait rapportée d’Allemagne a son ami. Auparavant, Lamartine s’était plongé dans les Confessions et la Nouvelle Héloïse ; il découvrait un jour Chateaubriand ou Mme de Staël, un jour Pope ou Byron. On ne saurait trop le redire : dans les années qui ont suivi sa sortie du collège de Belley, il a été un grand dévoreur de livres. C’est alors qu’il a fait, une fois pour toutes, provision d’idées et de souvenirs littéraires. Parmi les ouvrages qui ont influé sur lui, M. Lanson ne se contente pas de signaler les grands livres ; il tient compte aussi, et avec raison, d’ouvrages secondaires, médiocres peut-être, mais imprégnés de l’air du temps et qui l’apportaient à un lecteur impressionnable. Le Lamartine des années d’apprentissage se tient au courant de tout ce qui paraît. « Ainsi le livre qu’il apportera, quelle que soit son originalité, sera rattaché par mille liens à la vie française, à la vie européenne d’hier et d’aujourd’hui : ce ne sont point du tout des chants sauvages éclos dans une solitude visitée seulement de quelques génies immortels. » Cinquante ans de modes littéraires ont précédé et préparé les Méditations.

Non certes que le morceau, le vers, la phrase, le mot, dont