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par Ossian : « N’est-il point dans les airs quelque ombre dont la robe en passant fait frémir ton feuillage ? Souvent on voit les âmes des morts voyager dans les tourbillons des vents, quand la lune part de l’Orient et roule dans les Cieux. » Et ainsi de suite.

La teinte même partout répandue, la mélancolie, est la nuance alors à la mode, la seule qui se portât en poésie. Lamartine a reçu de son époque cette idée toute faite que, seul, le malheur a une vertu poétique. Que ce soit Elvire ou Graziella, il ne les chante qu’en les pleurant. Il s’apercevra plus tard qu’il y a une poésie de l’amour heureux et, — j’en demande pardon aux romantiques, — c’est auprès de sa femme qu’il s’en apercevra. Marianne Birch devenue Mme de Lamartine a inspiré au poète quelques-uns de ses vers les plus amoureux, pour ne pas employer une expression plus vive. Mais cette poésie du bonheur n’était pas encore familière aux imaginations ; Lamartine en a fait la découverte avant ses lecteurs ; c’est une des raisons pour lesquelles les secondes Méditations n’ont pas eu le même succès que les premières : l’auteur y était, à certains égards, en avance sur son public. Dans les premières Méditations, il avait été devancé par lui. Tous les thèmes qui y sont traités l’avaient été déjà chez nous, mais en prose ; ou bien, ils nous arrivaient dans des traductions de poètes étrangers : il restait à en trouver l’expression poétique. Ce sera l’œuvre de Lamartine. Or, — c’est la démonstration très neuve et très forte que nous devons à M. Lanson, — la forme sous laquelle l’auteur des Méditations va exprimer cette poésie diffuse, c’est la forme générale, universelle, où se reconnaît l’art des classiques. Il va fixer cette poésie sub specie æterni, non pas à l’usage d’une société et à la mesure d’un individu, mais pour tous les temps et pour tous les hommes, en fonction de l’être humain.

Ce travail de généralisation apparaît tout de suite, si on étudie les procédés de composition familiers à Lamartine. On s’est efforcé de reconnaître dans les « paysages » des Méditations ceux-là mêmes que le poète a eus réellement sous les yeux. Le soir où la première inspiration de l’Isolement s’est présentée à son esprit, il était bien, en réalité, assis sur une montagne, à l’ombre d’un vieux chêne : la montagne est le Craz qui domine Milly et que couronne un taillis de chênes. De là, il est exact qu’il apercevait un fleuve dont le cours, s’il ne serpente pas,