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combinés dans son imagination. Les habitudes littéraires de l’époque ont dessiné en lui la première ébauche ; elle a été précisée par le spectacle directement aperçu : les souvenirs d’autres « choses vues » ont complété l’image. N’oublions pas l’idée qui appelle tous ces élémens, les modifie et les organise, pour en former un cadre en accord avec le tableau ou le motif sentimental. Le poète crée ainsi un paysage qui n’est pas réel, mais qui est vrai. Ce n’est pas exactement le paysage où se trouvait le rêveur : c’est le Paysage où se trouvera chez elle toute rêverie mélancolique.

Du paysage passons à une scène, celle du Lac : le procédé est le même. Il existe un précieux carnet offert par Julie Charles à Lamartine et qui contient l’esquisse de plusieurs Méditations. Lamartine l’avait légué à M. Emile Ollivier. On lit, sur ce carnet, cette note au crayon : « Assis sur le rocher, à la fontaine intermittente, le 29 août 1817, pensant à toi (Julie). Abbaye d’Hautecombe, à pic sur le lac. Le jour à choisir si… Passé la journée du 29 dans les bois d’Hautecombe sur le lac de B…, avec cinq personnes bonnes et aimables. Souvenir de notre journée du mois de septembre passée sur le même lac avec elle. » Voilà l’aventure réelle. D’autre part, la promenade en barque avec la femme aimée était un thème littéraire en circulation. L’amant d’une première Julie, à laquelle la Julie de Lamartine devait sûrement son nom, s’était déjà souvenu du lac où l’on n’entendait qu’un bruit de rames. « Nous gardions un profond silence. Le bruit égal et mesuré des rames m’excitait à rêver. » Et les accens inconnus à la terre, avant d’être ceux d’Elvire, ont eu la voix d’une autre : « Atala et moi, nous joignions notre silence au silence de cette scène du monde primitif, quand tout à coup la fille de l’exil fit éclater dans les airs une voix pleine d’émotion et de mélancolie. » Entrons dans le détail. Rousseau a exprimé, et non pas le premier, l’émotion du retour aux lieux où l’on a aimé. « Voilà la pierre où je m’asseyais pour continuer au loin ton heureux séjour. » De là pour Lamartine a pu venir la suggestion littéraire. Mais voici le souvenir personnel ; on lit sur le Carnet Emile Ollivier : « 30 août, au bout de l’allée des petits peupliers, sur les restes d’un petit mur, assis à la place même qu’elle occupait le premier soir où nous nous promenâmes au clair de lune. Premier aveu. Premier baiser. » Bien imprudent qui voudrait, d’après le Lac,