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L’ALSACE À VOL D’OISEAU.

qui s’en échappent en ruisselets. Derrière surgit, haute dans le ciel, la ruine du château de Landsberg, en grès rouge, avec sa tour carrée, ébréchée par les siècles, mais toujours majestueuse. Un chemin pierreux s’engage dans une épaisse châtaigneraie. Sous les feuilles dorées du soleil matinal, qu’agite une brise légère, retentissent les cris stridens des geais qui se disputent les baies rouges des sorbiers, et glisse, de temps à autre, le vol lourd d’un faisan aux ailes mordorées. On dépasse la pinède du Mœnkalb, et le sentier devient plus raide. Après maint lacet de la route, nous voici près du château de Landsberg, qui émerge des bois de châtaigniers, sur un ressaut de la montagne, au pied du Menelstein, avec son mur d’enceinte et ses larges douves, envahies par la végétation. De là déjà, la vue s’étend sur la plaine immense. Ici régnèrent jadis, pendant des siècles, les riches seigneurs de la contrée. Leur forteresse, inaccessible aux envahisseurs qui ravagèrent l’Alsace au Moyen Âge, n’a laissé que peu de souvenirs dans l’histoire et dans la légende, sauf celui de Herrade, l’illustre châtelaine de céans, qui devint abbesse de Hohenbourg au couvent de Sainte-Odile et charma ses loisirs en peignant les miniatures d’un merveilleux missel, le fameux Hortus deliciarum. On sait que ce bijou d’art mystique périt, avec cent autres trésors, dans l’incendie de la bibliothèque, au bombardement de Strasbourg, en 1870. Les Prussiens ont toujours marqué leurs conquêtes par des destructions de chefs-d’œuvre. Encore s’ils n’avaient saccagé que des livres ! Auprès de leurs fureurs brutales d’aujourd’hui, leurs crimes d’autrefois nous semblent d’innocentes peccadilles. Ils étaient alors dans l’enfance de leur art.

Je ne m’attardai pas à cette première halte de ma promenade. Du Landsberg, un chemin s’incurve dans la montagne et la longe horizontalement, pour gagner l’hôtel Saint-Jacques. Il s’engage sous une haute futaie de sapins. Leurs colonnes gigantesques se dressent sur un fouillis de jeunes arbustes. Les touffes sombres d’aiguilles couvrent, de leurs grands gestes muets, le frisselis des feuilles vertes. On marche au cœur de la forêt.

Infiniment variées dans leur monotonie apparente, les forêts sont la plus belle parure des Vosges. On ne dirait pas qu’elles ont été faites pour servir de vêtement à la montagne, mais que la montagne fut créée pour porter ces temples resplendissans, où vibrent tant de harpes et de lyres. Des essences nombreuses