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« Nous espérons, lui dit-il, que vos soins contribueront à nous conserver la pleine jouissance de notre liberté, spirituelle et temporelle. » Liberté spirituelle, cela signifiait, pour qui voulait entendre, la liberté qu’avaient jusque-là prise les citoyens de Genève de priver de messe tous les hôtes de Genève. Mais Chauvigny ne voulait pas entendre ; il tenait à sa messe. D’ingénieux médiateurs suggérèrent qu’on pourrait peut-être le loger à Plainpalais ou bien lui offrir un carrosse, pour qu’il s’en fût ailleurs, chaque dimanche, vaquer à ses superstitions. Chauvigny refusa : il avait la prétention de demeurer dans Genève, et d’y faire dire la messe. Et ce mot de messe, désagréable aux oreilles genevoises, prenait sur les lèvres de Chauvigny je ne sais quoi de volontairement agressif. « Au moins ne la faites pas chanter, suppliaient douloureusement les Conseils, et n’y laissez entrer que vos gens. » Et Chauvigny de répondre que, si l’Evêque d’Annecy venait lui rendre visite, il le recevrait et, au besoin, lui servirait d’enfant de chœur. Les discussions devenaient lancinantes. Un beau jour, agacé, Chauvigny disait à une dame : « Je ne sortirai pas de Genève sans avoir fait dire la messe dans tous les temples. » A Paris, Pomponne souhaitait, à ce qu’il semble, que le résident s’abstint d’un zèle aussi notoire, mais Pomponne tenait plus encore à ce que la messe fût dite et à ce que la chapelle fût ouverte à tous, et Pomponne écrivait : « Sa Majesté le veut. »

Ainsi que le voulait Sa Majesté, la messe fut redite à Genève, pour la première fois, le 30 novembre 1679, jour de Saint-André apôtre. Une lettre du syndic fut un long gémissement. « Nous ne nous attendions pas, écrivait-il, à ce que la bienveillance et la protection à nous promises par Sa Majesté eussent pour conséquence d’introduire une liberté de religion contraire à notre Constitution. » — « S’il le fallait, répondit froidement Chauvigny, le Roi retiendrait votre peuple en son devoir. »

Une guerre de taquineries s’engagea, interminable et toujours nouvelle, entre Messieurs de Genève et le résident. Chauvigny s’amusait à faire venir des moines, voire des jésuites ; Genève postait de fervens huguenots qui, dans un immeuble voisin de celui de Chauvigny, entonnaient à tue-tête les psaumes les plus sonores, afin que le chant de la messe ne pût offusquer ni le Dieu de Genève, en son ciel, ni ses dévots serviteurs sur terre. On eût voulu cacher cette messe, l’isoler, la murer. Aux