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portes de la ville, les étrangers étaient prévenus qu’ils ne devaient pas y aller, le culte réformé étant seul permis à Genève. Tantôt, afin de vider la chapelle, on élevait des chicanes contre les permis de séjour accordés à certains catholiques ; tantôt, dans les rues, circulaient des patrouilles qui, vers l’heure de la messe, faisaient rentrer de force, dans leur hôtel, les étrangers qu’elles apercevaient ; parfois même Genève installait des notables à la porte de Chauvigny, pour observer les Genevois qui entraient et les faire punir à la sortie. A la Chandeleur, on s’arrangea subtilement pour que Chauvigny ne pût pas trouver de cierges chez les marchands, et le jour de l’Annonciation, l’on ferma les portes de Genève, jusqu’à deux heures et demie de l’après-midi : les moines qui venaient dire la messe, les fidèles qui venaient l’entendre, restèrent ainsi dehors.

Louis XIV recevait les échos de ce conflit ; une histoire de coups de feu tirés sur son résident par des Genevois trop zélés alla jusqu’aux Tuileries. Chauvigny dénonçait Genève, Genève dénonçait Chauvigny. Cet homme et cette messe offensaient cette ville ; mais comme on savait le Grand Roi ferme en sa volonté, les ambassadeurs qu’elle lui envoyait se plaignaient de l’homme, et non de la messe. Finalement l’homme fut rappelé, mais la messe resta. Chauvigny, prenant congé d’une ville où jamais un hôte ne fut moins regretté, força les magistrats de lui faire excuse pour un discours qu’un pasteur s’était permis contre les Jésuites ; et triomphalement il écrivait à Colbert de Croissy : « Sa Majesté a pu introduire la messe à Genève, ce qui est regardé comme un prodige par toute l’Europe. » Son successeur Dupré fut invité par son gouvernement à s’abstenir de tout prosélytisme, mais à perpétuer ce prodige, et à faire entendre aux magistrats que, si la messe était encore troublée, Sa Majesté ne le pourrait imputer dorénavant qu’à leur connivence.

C’était là une première victoire remportée par le roi de France sur un siècle et demi de tradition. Il tenta bientôt d’en remporter une seconde. Un jour de 1685, s’animant contre les protestans de son royaume du même esprit dont Genève, deux siècles et demi durant, fut animée contre les catholiques, le roi de France commit la lourde faute de les condamner à quitter, soit leur foi, soit leur patrie ; et parmi ceux qui préférèrent le second sacrifice, de longs cortèges se formèrent qui fièrement et tristement s’en vinrent à Genève, pour y trouver