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convergeaient curieusement avec cette orientation nouvelle des théologiens. Ils trouvaient un terrain propice : le ministre Labadie, puis Mme Guyon, durant son séjour à Genève et à Thonon, avaient commencé d’éveiller certaines âmes, fatiguées par la pointilleuse théologie de l’époque et par les polémiques qui en retardaient ou en précipitaient la ruine. Un Vaudois survint à Genève, entre 1713 et 1720, comme messager du piétisme allemand. C’était François Magny, le magistrat de Vevey, le vieil ami de Mme de Warens ; durant les années 1713 à 1720, que Magny vécut à Genève, il « alla chez lui du monde comme en procession, » et les pasteurs inquiets provoquaient des enquêtes, comme ils en provoqueront, vingt-cinq ans plus tard, au sujet des Moraves, que l’on finira par bannir. A force de s’élever au-dessus des querelles doctrinales et de ne chercher dans la religion qu’une occasion d’élan pour la piété, les hommes comme Magny faisaient passer au premier plan l’idée de Dieu et de la Providence ; les extrémités de leur mysticisme rejoignaient ainsi le déisme, bien que leur vie intellectuelle ne fût nullement une vie de rationalistes. Un Béat de Muralt, une Marie Huber, s’étaient laissé modeler par le piétisme ; et les Lettres fanatiques du premier, l’ouvrage que publia la seconde sous ce titre : Lettres sur la religion essentielle à l’homme, dégagée de ce qui n’en est que l’accessoire, sont déjà, dès avant 1740, l’ébauche de la philosophie religieuse du Vicaire Savoyard. Les Lettres de Marie Huber, imprimées à Genève, étaient cependant parues sans nom de ville, de crainte, sans doute, de compromettre les pasteurs, réputés partout responsables de ce qui s’éditait dans la cité ; mais Genève discutait beaucoup ce livre ; elle le discutait encore lorsqu’en 1754 Rousseau rentra dans sa patrie pour s’y refaire protestant ; et beaucoup d’esprits pensaient et commençaient de dire que les trois dogmes auxquels se ramenait finalement la religion de Marie Huber : un Dieu, une Providence, un autre monde, étaient pour l’intelligence chrétienne un bagage suffisant.

Nombreux étaient les pasteurs qui n’osaient pas dire oui, mais non plus dire non. Leur protestantisme avait cessé d’être un dogme et n’osait pas encore se donner, franchement, comme une simple attitude religieuse. Trop captifs de l’intellectualisme philosophique pour sentir que le piétisme pouvait donner à la Réforme un renouveau de vie, ils entraient dans la période la