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avaient Voltaire pour voisin, ils ne fournissaient presque plus de pasteurs. Pour remédier à la crise, la Compagnie, entre 1772 et 1774, réclama respectueusement des magistrats, demeurés les maîtres, que les pasteurs eussent moins de prêches à faire et plus d’appointemens à toucher : ils l’obtinrent, et, quoi qu’on en pensât peut-être au quartier Saint-Gervais, ce qu’ils obtenaient n’était encore ni l’oisiveté, ni la richesse.

Ils se donnaient un mal touchant pour bien faire, pour marcher d’accord avec leur temps, qui malheureusement marchait assez mal. Les pasteurs en expectative, sur les bancs de l’Académie, étudiaient dans leurs thèses des sujets qui ne confinaient pas aux mystères, désormais un peu démodés. Ils dissertaient sur les tremblemens de terre, ou bien sur ce qu’avait fait Moïse pour l’hygiène des Hébreux, ou bien encore sur le mal dans la nature, sur les poisons, sur les combats des animaux. On eût dit qu’ils essayaient d’apporter des argumens au Vicaire Savoyard en faveur de la Providence des déistes ; et c’était un Dieu très vague que le leur. Le Christ de Jacob Vernet était un envoyé divin qui avait apporté un code de sainteté. Mais ce Christ n’était plus un être sur la vie duquel les âmes pussent greffer la leur ; il enseignait, il ne vivifiait plus ; il rendait savant dans la science de la sainteté, plutôt qu’il ne sauvait. « Pour faire goûter aux gens de notre siècle les vérités de la religion, disait Jacob Vernet, il faut y mettre une sauce philosophique. » La théologie faisait l’effet d’une corniche savamment posée sur la bâtisse philosophique ; elle apportait à l’intelligence un émouvant surcroit, où l’individu et la société pouvaient trouver le bonheur ; rien de plus ; elle avait cessé de viser l’homme tout entier, ou tout au moins de l’atteindre.

La complaisance même de cette théologie contribuait à l’effacement de son prestige ; et les patriciens, rentrant vainqueurs à Genève, après la révolution de 1782, ménageaient aux théologiens un coup singulièrement douloureux. La Vénérable Compagnie des pasteurs, qui depuis deux cent cinquante ans voulait régner sur l’Académie, qui en 1738 n’avait peut-être pas vu sans tristesse la nomination des professeurs de droit et de mathématiques passer à l’Etat, fut tout d’un coup, en 1783, privée de toutes prérogatives en matière d’instruction, et en 1786 les chaires de théologie furent réduites à deux. Longtemps les pasteurs furent inconsolables ; ils accusèrent l’influence