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gagnons la localité très élevée de Roccaraso. Trois ou quatre hôtelleries primitives destinées à abriter le flot des touristes italiens qui commencent à y faire du sport en hiver et à s’y reposer en été, sont vides encore. Nous avons peine à nous faire servir le plus maigre repas. Aussitôt après, nous traversons un immense plateau sans cesse agité par des vents violens. Le froid est intense. Le paysage est celui des plus hauts sommets alpins. La route redescend par pastel di Sangro. Nous désirons voir les fresques du IXe siècle de l’église souterraine désaffectée de San Vincenzo à Vulturno. Pour avoir les clefs, nous montons au village du même nom accroché à la montagne dans le site le plus romantique. Les clefs ont été emportées, hélas ! à Naples par le propriétaire actuel de l’église. C’est la fête du village. Toute la population défile en grand costume multicolore comme aux temps classiques de Léopold Robert. Dans ce lieu si sauvage, si écarté, nous recevons le meilleur accueil. A notre étonnement, beaucoup d’hommes s’adressent à nous en français. Ce sont des ouvriers qui, chaque année, vont faire en France une campagne de travaux de terrassemens. Un d’eux a épousé une femme française qu’il a ramenée ici et qui ne semble pas se sentir dépaysée dans ce milieu si différent et si rude. — Nous arrivons fatigués à Isernia sur le Vulturne. Nous voudrions y passer la nuit. Impossible. A la vue de l’auberge, nous reculons.d’horreur. Force nous est d’aller beaucoup plus loin par une route d’ailleurs infiniment belle. Nous arrivons à la nuit tombante à Campobasso, capitale de la province de Molise, presque sur la frontière des Pouilles. Hélas ! c’est ici pire encore. L’auberge est affreusement sale. Mieux vaut ne pas insister. Un de nous, gagnant son lit, en fait tomber un pistolet à six coups chargés oublié par le voyageur de la nuit précédente.

Par une très longue et très fatigante route, escaladant les plus hauts sommets pour atteindre successivement des localités qui semblent des nids d’aigles, nous franchissons la frontière des Pouilles. L’aspect du pays se modifie entièrement. Quittant les montagnes, nous descendons brusquement dans la grande plaine du Tavogliere des Pouilles, où paissaient, au moyen âge, des millions de moutons, venus des Abruzzes au printemps. Il n’en vient plus actuellement que quelques centaines de mille. De plus en plus, l’agriculture s’empare du Tavogliere. Vers midi, à l’entrée de cette plaine fameuse, nous atteignons