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de ses Alliés, on utilise un grand nombre de « compétences » en dehors du service où ils feraient autorité. On évite ainsi assurément l’ennui de subordonnés plus idoines que leurs supérieurs dans la fonction qui leur est dévolue. Dans tout cela, les seuls coupables sont les règlemens, et chacun sait que les règlemens peuvent être faits par des hommes, mais jamais défaits par eux.

Notre ministre de la Guerre a fait mieux que prononcer la phrase fameuse sur le divorce qui se produit parfois entre le règlement et le bon sens ; il a prouvé, en des circonstances délicates et qui seront connues un jour pour son honneur, que les concours, d’où qu’ils viennent, lui sont précieux quand ils sont utiles, et qu’il apprécie davantage ce qui est inclus sous le képi que ce qui est cousu dessus. Grâce à sa confiante collaboration avec le ministre des Inventions, il est certain que, au risque de donner parfois quelque croc-en-jambe à la fo-orme des règlemens, le nouvel organisme amènera une utilisation meilleure des compétences techniques, une mobilisation rationnelle de la science française et « qu’on ne verra plus (c’est M. Painlevé que je cite) se multiplier et se prolonger des méprises comme celles qui font[1] d’un chimiste prix Nobel un infirmier dans une garnison de port de mer. »

En un mot, — si l’on veut me laisser citer une boutade d’un mien ami qui serait certainement pour elle passible du conseil de guerre, s’il était mobilisé, et qui est peu versé dans l’orthographe anglaise, — il est probable que la nouvelle institution contribuera un peu à ce que le gallon, qui est une mesure de capacité chez les Anglais[2], en soit toujours une aussi de l’autre côté de la Manche. Ainsi soit-il !

Archimède, qui prolongea longtemps, comme on sait, la défense de Syracuse, n’était qu’un petit professeur d’Université qui n’était même pas agrégé ni docteur. A son exemple, on créera peut-être quelque jour un corps d’ « ingénieurs aux armées » recruté parmi les ex-civils qui auront fait preuve de capacités techniques et militaires. Ce jour-là, on ne fera d’ailleurs qu’imiter l’Allemagne, qui utilise des ingénieurs non officiers dans certains de ses plus essentiels organes de technique militaire. S’il pouvait hâter ce jour, M. Painlevé aurait un titre de plus à la reconnaissance nationale… Mais j’oublie qu’il ne m’appartient pas de donner des conseils aux ministres.

  1. Il faudrait dire « qui ont fait, » car la chose a été réparée.
  2. On sait que le gallon vaut huit pintes ou quatre litres et demi.