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Acrocérauniens, que c’est comme le deuxième battant de la porte de l’Adriatique. Si l’Italie n’est pas en sûreté à Vallona, elle n’est pas en sûreté chez elle. Et c’est pourquoi, depuis quarante ans, depuis la première visite de Crispi à Bismarck, sans évoquer des relations beaucoup plus vieilles, l’Albanie a toujours été dans la pensée, nous ne disons pas dans les arrière-pensées de l’Italie, car nous croyons volontiers que, sur l’Albanie même, l’Italie n’a pas d’arrière-pensées. L’Albanie ne vaut pour l’Italie que par ses rivages ; mais, par ses rivages, elle vaut tout pour elle ; y être ou ne pas y être change du tout au tout les conditions de sa vie. Il est permis à l’Italie de ne pas vouloir s’engager à l’intérieur de l’Albanie ; il ne lui est pas permis de souffrir qu’une autre grande Puissance s’y installe et arrive jusqu’à la mer. Les Albanais, divisés en tribus, incapables de former une nation, restés à l’état quasi primitif, avaient du moins le mérite de ne pas l’inquiéter, et, en ce sens, elle avait ses raisons de dire : l’Albanie aux Albanais. Mais, même si, en Albanie, elle ne voulait rien pour elle, l’Italie ne voudrait pas encore qu’un autre y voulût, parce qu’il n’y pourrait vouloir que contre elle. Après avoir vu, non peut-être sans quelque exagération, « le péril serbe, » comment n’apercevrait-elle pas dans sa réalité le péril bulgare, ajouté à l’oppression autrichienne ?

Mais ce n’est pas tout. Le Balkan occidental est menacé d’une double poussée ; une poussée, pour ainsi dire horizontale, des Bulgares vers l’Adriatique, et une poussée, en quelque sorte verticale, des Austro-Allemands vers Salonique. Les uns de l’Est à l’Ouest, les autres du Nord au Sud, taillent la péninsule en incision cruciale. Or l’Italie n’a pas enfermé son avenir dans l’Adriatique ; tout son avenir, politique et économique. N’eût-elle pas de visées territoriales, qu’en plein développement comme elle l’est, il serait naturel qu’elle eût pourtant des visées commerciales, et qu’un peu à l’étroit dans ses limites pour une population d’une fécondité heureuse, elle méditât de s’arrondir ou de se dilater, soit en une sphère de colonisation, soit en une sphère d’influence. La voici dès lors attirée, après la Libye, vers le Dodécanèse où elle a posé le pied, vers la Méditerranée orientale où partout elle retrouve encore la marque de Venise. Mais, dès cet instant, sa voie est tracée ; voie royale et impériale qui va de Santi-Quaranta, par Okhrida, vers le Vardar inférieur. Qu’elle s’en souvienne avant que la minute fatidique s’écoule : l’Italie a enseigné au monde que la vertu des forts est de ne pas laisser passer l’occasion.

A de certains signes, il semble que l’Italie hésite, et nous nous garderons bien de l’assaillir de nos objurgations ou seulement de nos