Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/780

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armature, fait qu’elle peut convenir à tous les peuples comme les enseignemens de la raison ; le type de l’honnête homme, dont Corneille et Molière ont déterminé les caractères, est un type d’humanité qui s’accommode de tous les climats.

Vers 1750, il n’y a plus de doute ni de contestation possible : la culture française, c’est toute la culture intellectuelle aussi bien à Berlin et à Stockholm qu’à Paris. Les littératures étrangères, celles mêmes qui ont le plus magnifique passé, renoncent à leurs traditions nationales, et consacrent leur effort à des imitations qui sont presque des traductions. Seule, la forte sève anglaise offre quelque résistance. Et encore, faut-il remarquer que beaucoup de grands seigneurs et d’écrivains anglais se francisent sans effort. Gibbon, Sterne, lord Chesterfield, Horace Walpole, se sentent aussi bien à leur place à Paris qu’à Londres.

Quant aux cours et aux sociétés aristocratiques du Nord et de l’Allemagne, elles cherchent à se modeler le plus exactement possible sur la société française. Aussi les salons illustres de la grande ville sont-ils peuplés d’étrangers qui s’y trouvent parfaitement chez eux, de même qu’un Français peut se croire chez lui dans n’importe quelle bonne compagnie de l’Europe. Dans cette jolie société du XVIIIe siècle, qui semble être le prototype de la société française, que de figures d’immigrés, de voyageurs et de cosmopolites I Grimm, l’abbé Galiani, le comte de Stedinck, le prince de Ligne, le comte de La Marck, Horace Walpole, le Père Pacciaudi, lord Chesterfield, Stanislas-Auguste. Tout ce que le monde compte d’hommes éminens, de grands seigneurs élégans, de femmes aimables, parle, écrit notre langue, considère la France comme sa seconde patrie, et en partage les engouemens et les préjugés.

Décidément, comme dit Rivarol, le temps semble être venu de dire « le monde français, » comme autrefois « le monde romain. »


La Révolution, qui détruisit brusquement cette société aristocratique et lettrée du XVIIIe siècle, porta immédiatement un coup très rude à la prédominance intellectuelle de la France. Le prince de Ligne ne se trompait pas quand il écrivait