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passage des unes aux autres nous permet de l’entrevoir. Et cependant nous ne pouvons nous empêcher de le chercher dans l’évocation du Paris universitaire de cette époque et dans l’histoire des Origines de la Compagnie. N’en prenons, du moins, que ce qui mettra quelque vie autour de cette figure encore indécise : des lueurs pour découper une ombre.

Le collège Sainte-Barbe, où il était entré, était le seul que son fondateur, Geoffroi Lenormand, trop modeste pour lui donner son nom et trop désireux de recevoir des élèves de partout pour lui donner le nom d’un pays, eût placé sous le patronage d’une sainte, dont la dialectique, selon la légende, avait mis en déroute les docteurs du paganisme. Sa façade, terminée par une tourelle, se développait sur trois rues, la rue des Chiens, la rue Jean-Lemaistre, la rue de Reims. La rue de Reims le séparait du collège de Reims ; la rue Jean-Lemaistre, du collège des Chollets ; la rue des Chiens, de la vieille chapelle Saint-Symphorien et du collège de Montaigu. La grande porte, son unique porte, — car les règlemens des collèges n’en admettaient qu’une, — était surmontée des cinq écus de la famille de Chalon, ancienne propriétaire de l’hôtel. Elle regardait de travers le sombre Montaigu beaucoup plus vieux, beaucoup plus sale, où les élèves, nourris de jeûnes, mais copieusement fouettés, soumis à un régime pénitentiaire, tondus et pourtant pouilleux, traînaient dans les plis de leur longue capette grise ou roussâtre, l’odeur de la vaisselle qu’ils avaient lavée et des ordures qu’ils devaient balayer. « Si j’étais roy de Paris, s’écriait le Ponocratès de Rabelais, le diable m’emporte si je ne mettais le feu dedans et faisais brûler et principal et régens qui endurent cette inhumanité devant leurs yeux être exercée ! » Mais cette inhumanité, héritage d’un réformateur catholique, le Flamand Jean Standonck, encore tout imbu de ténèbres gothiques et pénétré d’un amour des pauvres qui se doublait d’un zèle tortionnaire, si elle démoralisait souvent les élèves, ne décourageait point leur ardeur d’apprendre. Ils avalaient des rognures de viande en cachette ; et la science, ramassée sous les avanies, brillait à leurs yeux d’un plus vif éclat. Montaigu était le grand rival de Sainte-Barbe. Les Barbistes se considéraient d’un monde supérieur à celui des Montacutiens. On se provoquait, on se narguait par les fenêtres, on échangeait des horions dans la rue. François eut sans doute affaire au