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de la grâce. Elle sent encore les liens de la chair, et parfois, d’un mot arraché à sa pudeur, elle se rappelle qu’ils furent naguère plus lourds. Tel était le compagnon de François : discret, modeste, studieux, attentif aux moindres nuances de sa propre pensée, mûrissant dans le scrupule ascétique et dans le silence pour le conquérant des âmes qui viendrait le cueillir au nom de Jésus, incapable, je crois, d’exercer une autre influence que celle de l’exemple. Une source est là, petite, profonde, cachée. On respire dans l’air un peu plus sain l’haleine de sa pureté. On ne s’y désaltère pas.

Le conquérant approchait. Le Fèvre et François furent reçus, en 1529, à leurs examens de bacheliers ès-arts et de licenciés ; et François ne tarda pas à prendre le bonnet de Maître. Pendant qu’il commençait sa théologie, il fut admis à professer au collège de Dormans-Beauvais. Ce fut alors qu’un nouvel hôte s’introduisit dans leur chambre de Sainte-Barbe. Ils connaissaient déjà, pour l’avoir rencontré dans la rue, ce singulier martinet ou externe de Montaigu, qui frisait la quarantaine et qui boitait de la jambe droite. Il était vêtu comme un pauvre, presque comme un mendiant. De médiocre taille, le front dégarni, les yeux ordinairement baissés, il avait l’air grave et doux. On l’appelait le pèlerin. Rien ne prédisposait François en sa faveur : son âge d’abord, mauvaise recommandation chez de très jeunes gens toujours portés à mépriser le retardataire qui tombe au milieu d’eux comme un fruit sec parmi des fruits verts ; sa pauvreté ou plutôt sa déchéance, car on savait qu’il était né gentilhomme et qu’il vivait d’aumônes ; enfin ses aventures. Qu’il eût combattu à Pampelune contre les seigneurs de Xavier, François le lui pardonnait plus aisément que d’avoir erré sur les routes en tendant la main. Qu’était-il allé faire à Jérusalem où tout le monde l’avait houspillé ? Pourquoi avait-il eu des histoires avec l’Inquisition aux Universités de Salamanque et d’Alcala ? Cet ignorant, cet homme qui n’était point gradué, s’était mêlé de prêcher Jésus. « Pour interpréter et traduire les saintes Lettres, ne suffit la science des langues hébrée et latine, sed requiritur qualitas superioris disciplinæ, qui est la théologie. » Il ne savait pas même le latin et encore moins l’hébreu ! On l’avait condamné pour exercice illégal de la théologie. Nos jeunes licenciés devaient le regarder comme des étudians de médecine regarderaient un rebouteux,