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de François, et voulue par Ignace. On imagine de quel silence était chargé le regard de ces deux hommes, quand ils se rencontraient. Le départ pressait. Rodriguez s’était déjà embarqué le 5 mars, à Civita Vecchia, sur le navire qui emportait les bagages de l’Ambassadeur, et l’Ambassadeur se préparait à quitter Rome le 15 et à gagner Lisbonne par la France et l’Espagne. Bobadilla, rappelé de Naples, arriva dans un état pitoyable, cassé en deux par une bienheureuse sciatique. On ne pouvait songer à le transporter à travers les Alpes et les Pyrénées. Ignace sentit une volonté plus puissante que ses secrètes inclinations. Il était malade, au lit. Il manda François : « Maître François, lui dit-il, vous savez que nous avions choisi pour la mission des Indes maître Bobadilla. Son infirmité l’empêche de partir. L’Ambassadeur ne peut attendre qu’il guérisse. Voilà qui est pour vous. » Le sacrifice était consommé. Mais François, le cœur inondé d’allégresse, s’écria : « Eh bien, en avant, me voici ! » Ah ! le beau cri qui dut faire tressaillir, sous ses paupières baissées, les anciennes images chevaleresques et guerrières qui sommeillaient encore dans l’esprit d’Ignace ! C’est le : Paraissez, Navarrois, Maures et Castillans !… de l’héritier des Azpilcueta et des Aznarès.

Ses préparatifs furent vite faits. Il n’avait d’ailleurs que vingt-quatre heures pour les faire. Il raccommoda à la hâte de vieux caleçons et une vieille soutane, prit son crucifix, son bréviaire et un autre livre, un gros livre in-18, imprimé à Cologne en 1531, de Marcus Marulus, l’Institution de la Vie religieuse par des exemples tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ce fut tout son portemanteau. Maigres bagages ; mais eux, du moins, ils revinrent en partie. Le Bréviaire est à Nantes ; le crucifix et le Marulus à Madrid, dans la sacristie de la Chapelle Royale. Le Marulus a encore ses marges vierges. Les Jésuites, observe le Père Cros, n’écrivent rien sur leurs livres.

Enfin, nous sommes seuls avec François. Il nous semble qu’il sera davantage à nous. Ses lettres nous introduiront un peu plus dans sa familiarité, je ne dis pas dans son intimité, car il est très rare qu’on pénètre dans l’intimité d’un saint, et surtout d’un saint qui fut un homme d’action. Il se donne à tous, et ce qu’il garde pour lui, Dieu seul le sait. Ce voyage de trois mois en compagnie de Pedro de Mascarenhas, qui s’était fait le pénitent d’Ignace, fut un des plus heureux de sa