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l’Autriche-Hongrie pour utiliser la formidable machine de destruction méticuleusement préparée depuis quarante ans, et pour écraser la Russie et la France avant que la supériorité militaire des empires germaniques fût mise en question.

C’est donc dans une atmosphère d’oppression que nous passâmes les derniers jours de juillet.

Depuis des années, le problème qui devait se poser pour la Belgique au début d’une guerre européenne où ses grands voisins, tous garans de sa neutralité, seraient belligérans, avait été soigneusement étudié au département des Affaires étrangères. Nous avions tâché d’imaginer toutes les atteintes à notre neutralité qui auraient pu se produire, et d’examiner chacune d’elles en nous demandant toujours : « Quel serait, en ce cas particulier, l’attitude que nous commanderait notre devoir envers nous-mêmes et envers l’Europe ? »

Des notes avaient été rédigées pour résumer le résultat de ces études. Elles envisageaient, par pure hypothèse, des violations de notre neutralité par tous nos voisins, y compris les loyaux garans qui combattent avec nous aujourd’hui. Elles s’efforçaient de tracer des indications pour le gouvernement au jour du péril.

Si ces notes, qui furent relues avidement pendant la dernière semaine de juillet 1914, viennent à être publiées quelque jour, elles établiront l’entière bonne foi, la complète honnêteté de la Belgique, même aux yeux de ceux, — s’il en est encore, — à qui les Allemands ont réussi à faire croire que nous avions renoncé d’avance à notre neutralité en faveur de la France ou de l’Angleterre, — aux yeux des Allemands eux-mêmes, dirais-je, s’il n’était trop certain que nos ennemis n’ont jamais eu le moindre doute à cet égard, et qu’ils ont commis sciemment la mauvaise action qu’on appelle calomnie en lançant contre nous l’accusation d’avoir trahi nos devoirs de neutres[1]. Cela, autant et plus peut-être que tout le sang répandu, a creusé entre l’Allemagne et la Belgique un fossé qui ne sera plus jamais comblé.

  1. L’ordre confidentiel suivant, qui en dit long sur notre parfaite indépendance à l’égard de tous nos garans, a été adressé le 27 février 1913, sous le n° 562, par M. de Broqueville, ministre de la Guerre et chef du gouvernement, à l’état-major général de l’armée :
    « La durée du passage du pied de paix au pied de guerre sera déterminée en tenant compte de la nécessité pour nous de mobiliser sur notre frontière, pour défendre les marches de notre pays, notamment contre l’irruption de troupes légères (cavalerie, artillerie à cheval, cyclistes, infanterie en automobiles) cherchant à troubler ou paralyser notre mobilisation et tentant de s’emparer par un coup de main des places de la Meuse, voire d’Anvers.
    « A cet égard, il faudra que les régimens de la 2e division d’armée (Anvers) et les régimens de Gand, Bruges et Ostende, soient préparés à l’éventualité d’un débarquement de forces ennemies à Ostende, Zeebrugge ou Terneuzen, dirigé contre notre réduit national. »