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« force publique, » une armée du droit ; il faudra mettre à la raison les récalcitrans ou se tenir prêt à le faire ; il faudra garder en main les puissances de destruction et conserver l’art de la guerre avec ses derniers perfectionnemens, pour que les exécuteurs de la loi restent à hauteur des progrès secrètement poursuivis par les peuples malfaiteurs.

Laissons donc là de dangereuses illusions : on reverra la guerre ; il faut la préparer. Et l’on a, par suite, les plus graves raisons de chercher à prévoir vers quelles formes nouvelles elle évolue.

Un premier trait frappe les yeux : la généralisation de l’état de guerre. Les coalitions des temps passés comprenaient un petit nombre de belligérans. Cette fois-ci, deux empires germaniques, bientôt recrutant la Turquie, se sont adjoint déjà la Bulgarie, et nourrissent l’espoir d’entraîner la Grèce, la Roumanie, peut-être la Chine. De notre côté, aux trois grandes Puissances levées à l’appui des Serbes et des Belges, sont venus s’ajouter d’abord le Japon, puis l’Italie. Le Portugal s’est un instant trouvé dans le conflit ; la Perse, foulée par l’invasion turque, y prend une part détournée. Et ces peuples demi-libres, l’Egypte, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et l’Inde même, les Arabes d’Algérie et nos admirables Sénégalais combattent pour une cause qui semblerait ne les toucher que de bien loin.

Ce caractère d’extension politique ne paraît pas occasionnel. Il résulte de ce que la guerre actuelle est née, et probablement toutes les grandes guerres futures naîtront d’une lutte entre deux principes d’intérêt général. Ainsi le veut, plus encore que le progrès de l’idée d’arbitrage, qui élimine les moindres causes, l’enchevêtrement des intérêts matériels par-dessus les frontières : car la guerre fait trop de ruines, même chez le vainqueur, même chez les spectateurs, maîtres de l’opinion universelle, pour être déchaînée par caprice.

L’extension politique s’aggrave d’une extension géographique. On peut dire qu’aujourd’hui l’Europe entière est à feu et à sang. Mais la mobilisation d’une Puissance d’Extrême-Orient comme le Japon, l’entrée en jeu des Etats-Unis d’Amérique, à laquelle on a pu s’attendre, le concours volontaire des colonies anglaises font de notre guerre une affaire intercontinentale.