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M. de Gaiffier y arriva en même temps que moi ; il me raconta qu’il avait attendu la fin du Conseil de cabinet et que M. Davignon, rentré du Palais vers quatre heures du matin, l’avait chargé de remettre lui-même à M. de Below-Saleske la réponse à l’ultimatum allemand. M. de Gaiffier avait fait recopier rapidement la réponse, était retourné chez lui vers cinq heures, et, après avoir essayé de se reposer un moment, s’était rendu à pied à la légation d’Allemagne rue Belliard où, non sans émotion, il avait sonné à sept heures précises. Introduit dans le cabinet du ministre qui l’attendait, il lui avait tendu la note. M. de Below-Saleske l’avait lue d’un air détaché et lui avait demandé s’il n’avait rien à ajouter. Le baron de Gaiffier avait répondu négativement, avait salué le ministre et était revenu rue de la Loi. Les légations de France et d’Angleterre furent prévenues sans retard de ce qui venait de se passer. Vers la même heure, le journal l’Étoile Belge publiait la nouvelle de l’ultimatum allemand.

A neuf heures et demie, M. Webber, attaché à la légation anglaise, en proie à une agitation qu’il ne cherchait pas à dissimuler, arriva à la direction politique où j’étais seul à ce moment. Il venait, de la part de sir Francis Villiers, prendre copie de la note allemande et de notre réponse. M. Webber savait le sens général des deux documens, mais n’en connaissait pas les termes. Je lui lus les deux textes. Quand j’arrivai à la phrase : « Le gouvernement belge, en acceptant les propositions qui lui sont notifiées, sacrifierait l’honneur de la nation en même temps qu’il trahirait ses devoirs envers l’Europe… » je sentis ma gorge se serrer et l’émotion faillit me dominer. Je pus cependant aller jusqu’au bout. Webber n’avait pas bougé, il était resté debout devant moi. Il me prit les deux mains et, après m’avoir regardé un moment en silence : « Bravo, les Belges ! » me dit-il simplement, d’une voix qui tremblait un peu. Puis il copia rapidement les deux notes en sténographie et courut les porter à son chef.

Après son départ, vers dix heures, mon attention fut attirée par la rumeur grandissante qui, montant de la ville, arrivait à travers les cours des bâtimens ministériels jusqu’à la fenêtre ouverte de mon bureau. C’était comme un frémissement anormal qui allait en s’amplifiant… Il était fait des cris des vendeurs de journaux qui publiaient la nouvelle de l’ultimatum, des