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la contrebande des particuliers, pour qu’on ne coure pas de gros risques en se privant de leurs sympathies ; or la considération du droit y prend d’autant plus de part que, moins directement intéressés dans le conflit, ils sont des juges plus impartiaux. Ces sympathies préalables seront parfois suivies de conséquences décisives le jour où les intérêts finiront par être atteints, soit qu’elles entraînent la nation neutre dans les hostilités, soit qu’elles la retiennent au contraire. On n’a pas oublié les interventions successives du roi de Roumanie et du roi de Grèce, appuyées l’une et l’autre sur une fraction de l’opinion. La propagande germanique leur avait préparé cet appui.

Il existe, à vrai dire, deux ordres d’argumens, et celui qu’invoquaient, avec le roi de Grèce, certains officiers de son armée ou certains personnages de son entourage politique visait sans doute moins le bon droit de l’Allemagne que sa puissance militaire. Donner la conviction qu’on ne mérite aucun reproche est une victoire morale ; donner l’impression qu’on sera le plus fort en est une autre. On gagne autant de cœurs par la crainte que par l’admiration ; la réprobation en fait perdre autant que le mépris. Nos adversaires n’ont négligé aucun des moyens d’agir sur les âmes. A les entendre, ils défendent leur existence nationale menacée par une abominable coalition, et ils la défendent non seulement avec un succès ininterrompu, mais par les procédés les plus humains, contre des ennemis sans foi ni humanité.

Cet incessant plaidoyer a fait l’objet d’un véritable système offensif, déployé à grands frais sur toute la surface du monde civilisé, par l’intermédiaire d’agences officielles ou clandestines. A côté des commerçans, les diplomates allemands le plus haut placés y ont tenu leur rôle, de concert avec les hommes de paille recrutés à tous les niveaux de la société cosmopolite. On a acheté un très grand nombre de journaux, on a créé des organes nouveaux en Suisse, en Italie, en Hollande, en Roumanie, dans les deux Amériques, au Danemark, en Pologne, en Belgique, et même sur le territoire français envahi.

Il ne s’agit pas uniquement de persuader les neutres, il s’agit aussi et avant tout d’ébranler ou de soutenir, d’enflammer ou de troubler le moral des combattans. C’est chez soi d’abord qu’il importe de faire croire à son innocence, à la