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la curiosité intellectuelle d’un jeune homme ! Il est vrai qu’on était en 1867. La philosophie, sous le second Empire, était suspecte, passait pour subversive, et, afin de la mettre dans l’impossibilité de nuire, on l’avait réduite à n’être que la logique. Qu’un étudiant de la Sorbonne rêvât de suivre des cours à Heidelberg ou à Iéna, cela peut s’expliquer ; mais au fond du Rouergue, chez le fils de gentilshommes terriens, cette fantaisie étonne. Elle n’en fait que mieux comprendre l’engouement qui, dès cette époque, conduisait la pensée française à s’absorber dans la pensée étrangère ; elle atteste l’invasion intellectuelle qui précédait et préparait l’invasion.

Ch. de Pomairols était un Français de pure race : sa fugue germanique eut pour tout résultat de le dégoûter à jamais de la métaphysique et de troubler pour un temps la clarté de son esprit. Il reprit pied dans sa province, rentra dans sa maison, épousa une jeune fille du voisinage, et commença d’écouter la voix intérieure qui chantait en lui. Ses deux premiers recueils, la Vie meilleure et Rêves et pensées, sont d’un débutant qui a beaucoup lu Sully Prudhomme. Il s’essaie, non toujours sans succès, à tracer avec précision et finesse de petits tableaux qui deviennent de Iransparens symboles. L’hiver, dans la campagne où s’allonge un ciel gris, on voit parfois un rayon de pâle soleil percer la nue, illuminer ici un coin de paysage, frapper là un étang qui chatoie ; puis tout rentre dans l’uniformité d’une morne grisaille. Ainsi ces joies furtives qui brillent un instant dans une âme emplie par un noir chagrin : la douleur bientôt se reforme et couvre cet éclair. C’est Joie brève. On voit encore aux arbres pleins de sève sécher et mourir des branches qui gardent dans leur nudité languissante une grâce innée, une beauté qui émeut : on dirait des âmes qui souffrent. Ce sont Les branches mortes. Beaucoup de descriptions où se traduit déjà un sentiment très direct et très personnel de la nature : aspects de campagne, éclosions printanières, pluies d’été, lacs sur une cime, paysages volontiers voilés de mélancolie et rendus avec des teintes discrètes d’aquarelle. Mainte rêverie inspirée par le sentiment des existences multiples qui, de siècle en siècle, se sont succédé sur un même point du sol, qui y ont créé une tradition et qui en font l’atmosphère morale. Devant de vieux murs croulans le poète songe à ceux qui les ont bâtis jadis, dont le nom même s’est perdu et