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Cet âge par toi-même à ton peuple annoncé
En des vers murmurans de tristesse infinie,
Où ton mélancolique et suave génie
Ressentait le présent comme déjà passé.

Voilà que sur ce bord de frontière lointaine,
Le laboureur poussant sa charrue avec peine,
Fait résonner le soc sur des restes humains,
Des javelots rouillés, d’énormes casques vides
Et, mesurant leur masse à ses forces timides,
Admire la grandeur des ossemens romains.


L’antiquité romaine, elle est partout dans nos vieilles provinces latines, jusque dans le type de la race, dans la grâce de nos filles et la force de nos fils ; les outils décrits dans les Géorgiques creusent encore le terroir gaulois ; les mêmes spectacles que ramène le rythme immuable de la nature, nos lointains aïeux les ont contemplés aux mêmes endroits, et ils en ont transposé l’émotion dans l’ordre mythologique. Ils ont vu passer ces oiseaux, et ils ont salué en eux les messagers des destins et des dieux ; ils ont reconnu dans l’étoile du soir l’étoile de Vénus, et dans la pourpre du couchant le bûcher d’Hercule. Pour eux, la lune était Diane, chaque source était une Nymphe. Et nous qui les continuons, un instinct filial nous dit que nous avons raison de sentir comme eux et de voir flotter sur les mêmes espaces les mêmes rêves… Largeur de l’idée, ampleur de la composition, solidité du vers, tout se réunit pour faire de cette pièce un morceau d’anthologie.

Je ne voudrais au contraire ni détacher une pièce, ni isoler un vers du recueil Pour l’Enfant : c’est une lamentation continue qu’il faut écouter l’oreille près des lèvres et le cœur près du cœur. Le poète sur qui vient de s’abattre le malheur, n’en ressent pas, dans le premier moment, toute l’âpre torture : il en est à la période de stupeur, à l’effroi devant l’incompréhensible. Celle qui était tout pour lui, se peut-il qu’elle ne soit plus rien, rien qu’une ombre et rien qu’un souvenir ? Se peut-il que d’autres vivent, aillent et viennent, d’autres et non plus elle ! A mesure qu’il prend conscience de l’atroce réalité, tout un monde de pensées se lève dans son âme meurtrie et pour la faire saigner davantage. S’il n’y avait que le regret ! Mais il y a les remords, et c’est cela qui est horrible. Car elle lui était confiée ; il était fort, qu’a-t-il fait