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C’est d’abord un Appel adressé aux habitans de Leipzig, le 4 août 1914, par le général von Laffert, nouvellement chargé du commandement militaire et civil de la grande cité saxonne :


Parmi les étrangers qui résident dans notre ville, et tout particulièrement parmi les Russes, il y en a un grand nombre qui, selon toute apparence, sont coupables d’espionnage ou de tentatives pour troubler notre mobilisation. Aussi est-il nécessaire que tous nos compatriotes exercent une surveillance assidue, notamment, sur chacun des Russes qui se trouvent à Leipzig en qualité d’étudians, ou qui y sont installés à demeure. Je fais donc appel aux habitans de la ville pour collaborer avec les pouvoirs publics à cette tâche d’observation patriotique, en s’empressant d’arrêter et de livrer aux autorités militaires tout Russe dont l’attitude leur aura paru tant soit peu suspecte !


Dans toutes les régions de l’Allemagne, pendant ces premiers jours du mois d’août, des proclamations du même genre ont « officiellement » excité le public à entreprendre et à poursuivre ce qu’on pourrait appeler la « chasse à l’espion russe, » — après que déjà le Kaiser en propre personne avait daigné lui dénoncer jusqu’au plus inoffensif en apparence des sujets du Tsar Comme ayant toute chance d’être, au demeurant, un dangereux « espion. » En même temps, des journaux qui avaient coutume de passer pour éminemment « modérés, » des journaux de l’espèce du Berliner Tageblat, remplissaient leurs colonnes de prétendus « télégrammes » tels que celui-ci :


STUTTGART. — Un nombre considérable de Russes, et parmi eux plusieurs femmes, ont été arrêtés aujourd’hui dans notre ville, pour cause d’espionnage. L’une de ces arrestations a été opérée à l’étage supérieur du Bureau de Poste central, où se trouvent les appareils du télégraphe. D’autres arrestations vont être faites en ville et aux environs. — Il a été établi que de nombreuses tentatives avaient eu lieu, durant les jours passés, pour faire sauter les ponts du chemin de fer. — A Freudenstadt, on a saisi une roulotte appartenant à des Russes, et contenant une forte quantité d’explosifs.


Semblablement, toute la presse allemande s’accordait à signaler de prétendus attentats commis par des « étudians russes » sur toute sorte de hauts personnages, à commencer par l’Empereur lui-même et son fils aîné le Kronprinz. Ainsi l’on s’ingéniait à « chauffer » les sentimens de la population à l’endroit de ses hôtes russes ; et le moyen de s’étonner, après cela, qu’une telle « préparation » ait produit le résultat révélé par l’enquête de M. Rezanof ?

Mais le plus curieux est que ce résultat n’a point tardé à effrayer