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avec quel bénéfice ! être facilement évitée. M. le ministre de la Guerre, au bout du compte, quand il a eu essuyé harangues et interruptions, a fini par céder en ce qui concerne les permissionnaires. Quelque impression que nous soyons disposés à croire qu’aient dû produire sur son esprit les argumens présentés par M. Bouisson et par M. François Fournier, l’effet n’eût-il pas été le même s’il les eût entendus dans son cabinet ? « Vous me forcez, a dit M. le général Galliéni, lorsque sa patience s’est lassée, vous me forcez à faire un métier qui n’est pas le mien. » Que ce métier ne soit pas le sien, et qu’il le fasse, il n’y aurait que demi-mal, s’il n’avait pas d’autres devoirs, que ces exercices oratoires l’empêchent ou le détournent de remplir. C’était à lui, c’était à M. le Président du Conseil de le déclarer tout de suite aux interpellateurs, en leur proposant de traiter la question à huis clos, et en les prévenant que, faute par eux d’accepter, le Gouvernement demanderait à la Chambre un renvoi sine die. Le jour où le Gouvernement adoptera cette attitude et se décidera à guider une assemblée plus soucieuse qu’on ne le pense de ne pas se discréditer, il sera sûr d’être soutenu.

Il est certain d’être appuyé aussi le jour où il viendra opposer à l’étonnante motion des marchands de vins de Marseille la seule réponse qu’elle comporte. Mais ce fragment de leurs considérans mérite d’être cité tout au long : « Les débitans… adressent le témoignage de leur admiration aux troupes qui, par leur endurance et leur courage indomptable, démontrent que la vitalité de la race française n’est pas amoindrie, et prouvent irréfutablement que les prétendus ravages de l’alcoolisme n’ont jamais constitué un péril national. Ils dénoncent, en la qualifiant de criminelle et d’antipatriotique, la campagne organisée par les médicastres, tempérans et autres scientistes, pour déconsidérer certains produits de notre sol et de notre industrie et particulièrement les spiritueux. Ils signalent comme traîtres à l’union sacrée et dénoncent à la vindicte populaire ceux qui font profession d’insulter la nation française en la qualifiant de dégénérée, malgré l’héroïsme dont l’armée et la population font preuve depuis dix-huit mois d’une guerre sans précédent dans l’histoire du monde. »

Médicastre, tempérant et même « scientiste, » M. Aristide Briand n’est homme à avoir peur ni de l’une de ces épithètes, ni des trois ensemble ; il ne fléchira pas devant l’accusation de « déconsidérer » un produit de notre sol, et de rompre par-là « l’union sacrée, » non plus que devant la menace d’être voué « à la vindicte populaire. » Hier