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temps de la dernière insurrection de Cuba contre l’Espagne, Canovas del Castillo me dit plaisamment un jour : « Mes nègres ne sont pas, comme ceux des États-Unis, des nègres blancs. » L’Allemand des États-Unis, plus opiniâtre que le nègre, ne blanchit pas, autrement dit ne « s’américanise » que par exception. Ce sont ces néo-Américains, vieux et persévérans Allemands, cachant, sous un masque adouci de progermains, leur germanisme de plein exercice, qui depuis vingt mois ont assailli le Président de leurs plaintes et de leurs récriminations. Cris, parce que des compagnies américaines fournissaient aux Puissances de l’Entente des armes, des munitions, du blé, des vivres ; injures et cris, parce que la flotte anglo-française, maîtresse de la mer, affamait le paisible peuple d’Allemagne, privait de pain ses vieilles femmes et de lait ses petits enfans ; injures, cris et menaces, parce que M. Woodrow Wilson ne se décidait pas à conseiller aux citoyens des États-Unis de ne pas voyager sur des navires même neutres, s’ils étaient armés, ne fût-ce que pour leur défense, et mettait ainsi une entrave à la liberté d’action de l’ingénieuse, audacieuse et victorieuse Allemagne. Encore s’ils n’avaient fait que de se plaindre et de récriminer ! S’ils n’avaient tendu que des pièges et allumé que des pétards parlementaires ! Mais des bombes étaient furtivement déposées dans la cale des bateaux, qui soudain brûlaient le long des quais ; les gares et les ports s’embouteillaient ; des ponts sautaient ou étaient minés ; des usines flambaient : une immense main noire s’était abattue sur les États-Unis, chiffonnait le drapeau, et jouait insolemment avec les quarante-huit étoiles. Une foule d’officieux, d’agens et d’espions s’agitait, tissait ses trames, ergotait, complotait, corrompait, sans plus de souci de se couvrir de honte que de couvrir les autorités de ridicule.

Seulement, sur deux de ces points, la vente des armes et des munitions, la faculté de voyager sur des navires armés pour leur défense, M. Woodrow Wilson s’était souvenu que les Américains ont des principes auxquels ils sont fortement attachés, et, comme il s’agissait de droit positif, il avait, de bonne heure, pris soin de les écrire. En effet, pour ce qui est des armes, dans l’acte même portant « proclamation de neutralité, » acte d’une gravité, d’une majesté religieuse, où le Président parle personnellement : « Moi, Woodrow Wilson, Président des États-Unis d’Amérique, » et daté, en style de diplôme : « Fait dans la ville de Washington, le quatrième jour du mois d’août de l’année de Notre Seigneur 1914, et de la cent trente-neuvième année de l’indépendance des États-Unis d’Amérique, » —