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Villa ; bien moins pour les occuper ailleurs et les détourner d’elle que pour les séparer et les écarter de nous. Mais qu’est-ce que l’Allemagne veut au juste ? Veut-elle la rupture avec la République des États-Unis, ou ne la veut-elle pas ? Nous ne tarderons pas à le savoir ; et la résolution qu’elle adoptera marquera en un certain sens son degré de chaleur vitale, le degré d’usure de ses forces.

Il y a pour elle de quoi réfléchir. Les plus belles unités de sa flotte marchande sont emprisonnées dans les ports américains : de nombreux navires, dont un seul aurait coûté cinquante millions ; la confiscation en serait ruineuse aujourd’hui, désastreuse pour demain, quand, après la guerre, la vie devra reprendre, d’autant plus rapide et d’autant plus intense qu’on aura plus perdu. Pour moins que cela, M. de Tirpitz est tombé peut-être sous les coups de M. Ballin. Mais, d’autre part, s’humilier en cédant, avouer, sur les mers, la maîtrise de l’Angleterre, « que Dieu punisse ! » L’Allemagne est, au carrefour, partagée entre sa fortune et son orgueil. Cependant, le ministre de la Guerre des États-Unis, M. Newton Baker, que le Président était allé chercher parmi ses anciens élèves pour être sûr de l’avoir pacifiste à son gré, dirige des préparatifs dans les arsenaux et dans les usines. Le Sénat vote d’urgence une loi militaire. Il faudrait, le cas échéant, estimer à tout son pouvoir le concours de l’armée et de la marine américaines. Mais le terrain et le moment sont tels que, même sans son armée et sans sa marine, les bras croisés, par les seules richesses de ses banques, de ses mines, par l’activité de son sol et de son industrie, la Confédération pourrait apporter à l’Entente une aide triomphante et porter à l’Allemagne le coup définitif. Tout l’exposé de M. Wilson au Congrès s’appuie sur cet axiome fondamental que, si fervent ami de la paix que l’on ait été et que l’on demeure, il est néanmoins des principes pour le maintien desquels on ne peut pas ne pas se battre, que les États-Unis doivent préférer à tout, parce qu’ils sont l’aliment de leur vie, l’essence de leur âme elle-même, et dont les circonstances leur ont en quelque sorte remis la garde : « Nous ne pouvons pas oublier que nous sommes un peu, et par la force des circonstances, les porte-parole responsables des droits de l’humanité, et que nous ne devons pas rester silencieux, alors que ces droits semblent être lancés dans le « maëlstrom » de cette terrible guerre. » Voilà le point qui résume tous les points du débat et qui les domine ; ils se réduisent tous à cette espèce de dénominateur commun : « Une pareille façon de faire la guerre, si l’on peut appeler cela faire la guerre, ne peut pas être continuée sans violation évidente des préceptes et des droits de l’humanité. »