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du monde, où chaque journal est chargé de tenir sa partie et joue sous le bâton du chef, les a, par surcroît, embrouillées de son mieux, enveloppées de fumée et de tapage. L’Allemagne manie ses gazettes comme elle manœuvre son artillerie lourde ; elle s’en sert pour retourner le terrain, pour étourdir et pour affoler l’adversaire.

Dans la dissertation signée de M. de Jagow, on distingue, à la loupe, les traces de deux tendances et les manières de cinq ou six collaborateurs. Non seulement le gouvernement impérial s’y montre préoccupé de faire deux visages : un visage farouche, inflexible, pour l’Allemagne même, un visage moins repoussant pour les États-Unis ; mais on l’y sent déchiré, écartelé par des sentimens opposés, rage et crainte, peur et fureur, qui le tirent, comme des chevaux emportés, de contradiction en contradiction. La bouche gronde ou raille, l’œil appelle, et le tout fait un singulier mélange. C’est de la résignation poudrée d’impertinence, de la provocation avec « mille pardons, » le pour et le contre, le oui et le non en quatre cents lignes. « Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses. » Si le Président Wilson aime les énigmes, il a eu de quoi s’exercer.

La « réponse » allemande commence par admettre ce que la chancellerie avait jusqu’ici contesté, avec dessins et croquis annexés : la possibilité que le navire mentionné dans la note du 20 avril comme ayant été torpillé par un sous-marin allemand soit effectivement le Sussex. C’est que l’enquête est là, et qu’elle est telle que, sur ce point, toutes les issues sont fermées. Mais, pour Berlin, ce n’est qu’un point de fait, un point de détail, un menu point, que le gouvernement impérial se refuse à laisser généraliser. Il n’accepte pas que les États-Unis le posent « comme un exemple des méthodes de destruction délibérée et sans discernement de navires de toutes provenances et de toute destination par les commandans de sous-marins allemands. » On lui fait injure : « Par égard pour les intérêts des neutres, » et au risque de procurer un avantage à ses ennemis, l’Allemagne a donné des ordres pour que la guerre sous-marine fût menée « selon les règles du droit international, qui s’appliquent à la visite, à la perquisition et à la destruction des navires de commerce. » Elle ne les « donnera » pas, elle les « adonnés. » Certes, il peut se produire des erreurs, qui peuvent produire des accidens. Mais qu’y faire ? Il faut être indulgent aux faiblesses humaines, et même inhumaines. « Certaines tolérances doivent être accordées dans la conduite de la guerre navale, contre un ennemi qui recourt à toutes sortes de ruses, qu’elles soient licites ou ne le soient pas. » Pour ce