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apaisé : « Grand merci ! » puis, noblement, pour la galerie : « J’ai obtenu ce que je voulais. »

Depuis quinze jours, nous regardions le dynamomètre, ses indications sont certaines. La dégradation des nuances dans les articles des journaux, — articles commandés, insistons-y, presque dictés, — à l’égard des États-Unis et de M. Woodrow Wilson, marque le fléchissement des forces de l’Allemagne. Trois périodes : avant le 20 avril, pendant que le Président des États-Unis prépare et rédige sa note ; entre le 20 avril et le 8 mai, pendant que le gouvernement impérial lit, relit, épluche, et, tous ses flambeaux allumés, sous l’œil jadis étincelant de l’Empereur, diplomates, militaires, marins assemblés, ratiocine, ergote, fignole sa réponse, l’envoie, en attend l’effet ; après le 8 mai, lorsque rapide, directe, foudroyante, par une « rentrée d’autorité, » est arrivée la riposte américaine. Jusqu’au 20 avril, il faut voir de quelle encre M. Wilson est barbouillé. Dans un pays où les professeurs, même s’ils ne sont pas « Excellence, » règnent souvent avec indiscrétion, honorés d’un culte puéril, « le professeur Wilson » est vilipendé par le moindre scribe comme ne le fut jamais par Bismarck lui-même « le professeur Gladstone. » Les États-Unis, en tant que Puissance, sont ravalés au niveau le plus bas : leur marine est démodée ; leur armée n’existe point : ce qu’ils en ont est ridicule. Visiblement, on se propose d’intimider le Président. Après le 20 avril, quand il a bien fallu se rendre compte que sa main n’a pas tremblé, la presse allemande se partage. On se distribue les rôles. Les uns sont enragés ou font les enragés ; les autres font les calculateurs, les politiques, les raisonnables. Il s’agit de peser, si on le peut, sur la décision qui s’élabore péniblement dans le mystère bourdonnant du grand quartier général ; et, si on ne l’a pas pu, de colorer de feinte ou d’adresse, de « camoufler » en habileté la reculade, tout comme dans les bulletins de l’État-major où les retraites précipitées ne sont que des « redressemens stratégiques » voulus dès le commencement de l’action par la suprême sagesse. Entre le 4 mai et le 8 mai, sa réponse partie, l’Allemagne rit, ainsi qu’elle sait rire, du bon tour qu’elle vient de jouer aux États-Unis : elle se réjouit de la malice allemande, qui de nouveau s’affirme proprement über alles, et elle épie, avec une ironie dont on mesure toute la finesse, la tête que, pris dans les ficelles qu’elle lui a artificieusement tendues, va faire le pauvre Président Wilson. Après le 8 mai, quand cet homme juste et craignant Dieu est sorti du traquenard par la voie sacrée, par la ligne droite, quand il n’a eu, pour marcher dans