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les pas d’Hercule, qu’à choisir la vertu, qui lui a paru plus simple, le gouvernement allemand, la presse allemande, le peuple allemand ont courbé la barre d’acier de leur échine ; ils ont compris ; ils ont accepté ; ils ont salué. C’est un grand signe. Mais voici une curieuse coïncidence : le changement est devenu sensible à partir du 25 avril. Or, l’échec de la révolution d’Irlande est de la veille, lundi 24. Bien que ce fût le lundi de Pâques, il n’est pas impie de soupçonner que cette disgrâce fit, pour la conversion de l’Allemagne, autant, probablement, que put faire la grâce.

Nous sommes à présent renseignés ; nous savons, sinon où en est l’Allemagne, du moins où elle n’en est plus. Elle n’en est plus à la saison pleine de sève où, défiant la terre habitée par toutes les races, collectionnant les déclarations de guerre, elle s’écriait, comme il y a un an, lors de l’entrée en scène de l’Italie : « Encore un ! Nous pouvons encore nous charger de celui-là ! » En avouant que l’hostilité des États-Unis l’eût gênée, et par elle-même, et parce qu’elle eût pu entraîner à leur suite d’autres neutres, elle accuse sa lassitude. En plaidant : « Nous avons consenti un sacrifice nécessaire à notre unique objet, qui doit être la victoire ; nous nous sommes réglés sur le seul principe qui doive nous guider : garde-toi par-dessus tout de faire ce que souhaite ton ennemi, » l’Empire allemand reconnaît que sa victoire, maintenant, dépend de certaines conditions, qui seront ou ne seront pas réalisées, mais n’est pas assurée en tout état de cause. Il ne se croit plus infaillible et ne se montre plus inflexible, parce qu’il ne se sent plus invincible.

C’est tout ce que nous-mêmes voulons dire. Pour être prudens en nos inductions, nous ne nous avancerons point au delà. Mais nous avons conscience, en allant jusque-là, de ne porter le pied que sur le terrain le plus solide. Osons ici écrire : « certitude. » Nous savons, et il est excellent que l’Allemagne sache que nous savons. C’était hier une machine de guerre formidable, montée et mise au point durant un demi-siècle, la plus formidable de tous les temps, et dont la puissance, à l’essai, a dépassé tous les calculs : elle n’est pas encore usée aujourd’hui, mais nous savons qu’elle s’use. Hier, c’était un immense réservoir qui durant un demi-siècle avait été rempli jusqu’à ce qu’il débordât : aujourd’hui, il n’est pas encore à sec, mais nous savons qu’il baisse. Durant un demi-siècle, chaque famille allemande en pleine fécondité avait peuplé de ses cinq fils l’énorme caserne et l’usine colossale qu’était l’Empire, mais nous savons où sont les cinq fils de la famille allemande, et où sont les millions de recrues