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tenue, où toute une jeunesse ardente reste grave et recueillie dans le sentiment du devoir si proche, malgré l’air de fête qui accompagne les départs, malgré les musiques guerrières, les guirlandes et les bouquets à rubans tricolores qui fleurissent les portières… Ce tumulte belliqueux s’apaise dans l’immuable sérénité des campagnes. On traverse les vastes plaines fécondes du Piémont et de la Lombardie : les femmes remplacent les hommes dans les champs. Elles ont fait les labours et les semailles. Les voici qui râtellent les foins coupés par les vieux, en attendant la moisson d’août. Dans les gares importantes, des buvettes et des buffets pour les soldats sont installés sur les quais. Les salles d’attente sont transformées en postes de secours pour les blessés. Infirmières drapées de blanc, la croix rouge au front ; serveuses en jupe de toile beige, qui s’activent à la descente du train, la cafetière ou la théière à la main. Là-bas, sur les lignes de garage, des sleepings de trains de luxe, des wagons-restaurans des grands express internationaux sont devenus des ambulances provisoires et des réfectoires roulans pour le service de santé. Les dîneurs en smoking d’autrefois sont remplacés par des majors en blouses de clinique… A l’arrivée, aux abords des stations, c’est un grouillement perpétuel de soldats qui vont partir. Scènes d’adieux et d’exhortations. J’ai vu des messieurs en cheveux blancs embrasser de jeunes recrues, après leur avoir adressé des paroles patriotiques, à la romaine. Des jeunes filles, qui se faufilaient à travers les groupes, glissaient dans la main des troupiers des médailles pieuses, des images du Sacré-Cœur, des paquets de cigarettes et des boites de chocolat…

Évidemment, dans les grandes villes maritimes et commerçantes, comme Gênes ou Naples, l’activité guerrière est moins perceptible au premier abord. Elle se perd un peu dans l’habituel mouvement du transit et des affaires. Mais ce mouvement lui-même est commandé presque exclusivement par les nécessités de la défense nationale. Pour peu qu’on regarde dans les rues, sur les quais, tout y rappelle la guerre : les dockers militarisés qui se pressent aux abords des manutentions et des usines ; les ouvriers des services techniques ou des services auxiliaires, chacun avec leurs brassards et leurs insignes particuliers ; les receveuses des tramways qui, dans un grand nombre de villes, ont remplacé les hommes et qui arborent