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surtout allemande et anglaise, la guerre a été un véritable désastre. L’aspect même des rues, cet aspect bigarré, brillant et lumineux, s’est modifié. Comme partout, l’éclairage nocturne est voilé. Plus de promeneurs exotiques sur la Mergellina, plus d’équipages ni d’automobiles, en longues files ininterrompues, sur la montée du Pausilippe. Les mandolinistes eux-mêmes ont à peu près disparu : ils sont au front, ou dans les casernes de la Péninsule. Ce sont des orgues de Barbarie qui jouent la Marseillaise ou l’hymne de Mameli.

Mais c’est surtout dans les mille détails de la vie privée que l’on éprouve les effets de la guerre, en Italie. Je dirai même qu’on s’en aperçoit peut-être plus que chez nous. Une sage et stricte économie préside à la distribution des vivres. D’un bout à l’autre du pays, riches et pauvres sont au régime du pain de seigle. Le vin tend à devenir une boisson de luxe, le sucré est rationné, les menus sont spartiates : dans la plupart des hôtels, ils se réduisent à deux plats. Et tout a renchéri dans des proportions beaucoup plus considérables qu’en France, depuis le charbon de terre jusqu’au prix des voitures de place. Malgré cela, le gouvernement, les associations charitables ne cessent de faire appel à la générosité publique, ou de grever les budgets domestiques. A chaque coin de rue, jusque dans les tramways et dans les couloirs des wagons, des sébiles sont tendues : pour les blessés, pour les mutilés, pour les couchages militaires, pour les Maisons du soldat…

Ainsi nos sacrifices et nos privations sont partagés par nos voisins. Il faut le répéter bien haut, non par satisfaction égoïste, mais pour trouver dans l’épreuve commune de nouveaux motifs de concorde et de fraternité. Ce qui réjouit surtout le Français qui passe en Italie, c’est la tenue excellente de la nation tout entière, une tenue vraiment digne de respect et d’admiration. On sent que, chez tous, du plus grand au plus humble, les volontés sont raidies dans un effort unique, dans une détermination inébranlable, et que la nation est prête à tout. Comme chez nous, on accepte le devoir, tout le devoir, sans forfanterie, ni enthousiasme factice, avec une dignité ferme et résolue. Mais on Italie, dans cette terre classique de la beauté et de la joie, peut-être y met-on une grâce unique, qui est vraiment le fruit particulier de ce sol béni. Je me souviens d’avoir assisté, dans le hall de mon hôtel, aux adieux d’un