Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans le détruire, comme une pierre dans un étang ride la surface sans émouvoir les eaux. Une balle perdue claqua sur un mur.

Voilà à peu près quel est le train familier de la vie à l’arrière de ce secteur d’extrême gauche. On voit parfois sur les eaux glauques la forme notre d’un bateau. Quant aux tranchées de première ligne, établies en avant à la hauteur d’une colline de sable plus élevée que les autres et qu’on appelle la Grande-Dune, leur histoire est singulière : elles marquent encore les positions de fin de combat d’une action qui eut lieu le 22 décembre 1914. Depuis lors, chacun des deux adversaires a essayé de bousculer l’autre, sans y parvenir. Les Allemands ont fait une dernière tentative, le long de la côte, le 9 mai 1915.

Ce fait doit être marqué, parce qu’il se répète en beaucoup de points du front. Les unités restent figées, parfois depuis plus d’une année, dans la position où les a surprises la fin d’une journée de lutte. De là tant de situations paradoxales. Mais aucun n’a voulu depuis lors rectifier son front ni céder un pouce. Dans cette guerre, on tient dans les conditions les plus invraisemblables. Le principe de ne rien abandonner à l’adversaire a prévalu sur tous les autres. On a vu en Argonne les Français accrochés à des pentes où les tranchées ennemies dominaient immédiatement les leurs. On a vu sur les Hauts-de-Meuse les Bavarois s’incruster à Saint-Mihiel dans la position en flèche la plus téméraire. Nous allons voir tout à l’heure que, n’ayant presque personne sous la main, le commandement français a tenu la circonférence du saillant d’Ypres au lieu de raccourcir sa ligne en défendant le diamètre.

À droite de l’ourlet de sable qui borde la mer, on entre tout à coup dans une région complètement plate qui jusqu’au XIIe siècle a été un golfe marin. L’eau imbibe encore le pays. Elle apparaît pour peu qu’on creuse le sol à quelques décimètres. Il est impossible de tailler des tranchées, et tout le travail de fortification doit être établi en relief. Des inondations, maintenues depuis le 25 octobre 1914 étalent un plan d’eau entre les adversaires. D’une manière générale, les Belges sont établis sur la voie ferrée de Nieuport à Dixmude. C’est un remblai, haut de 1 m. 30, qui à la bataille de l’Yser a arrêté le flot allemand et changé les destinées de l’Europe. En avant de ce remblai, un certain nombre de fermes, sur des bombemens, sont occupées par des avant-postes.