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sous-lieutenant imberbe à sa fiancée. C’était un officier-aviateur. Il partait pour le front. Il allait exécuter, là-bas, son premier vol de guerre : il le disait, il en était tout tremblant de fierté et d’allégresse : son premier vol !… Des jeunes filles l’entouraient, le félicitaient, lui criaient : « Au revoir ! Bonne chance ! » Cela me rappelait le jeune torero qui, pour la première fois, revêt « l’habit de lumière » et qui vient se montrer aux dames avant d’affronter, dans l’arène, la brute furieuse. Lui, très élégant et très cérémonieux, il s’inclinait, saluait comme pour une visite ordinaire. Et, soudain, brusquant la scène, il baisa la main de sa fiancée, — une superbe Triestine aux grands yeux de velours, — il lui tendit un bouquet de roses et d’œillets, — fragile souvenir, — et, joyeux, léger, impatient de prendre son vol, il s’en alla vers la gloire et vers la mort…


On respire donc, en Italie, la même atmosphère que chez nous. La physionomie du pays, l’état des âmes, tout est pareil. Pourtant, sitôt qu’on a passé la frontière, on s’aperçoit qu’il y a quelque chose de plus que cette similitude imposée aux deux nations par des circonstances analogues : une réelle, une profonde et de plus en plus consciente sympathie réciproque. Quelle différence avec ce qu’on remarque ailleurs, chez des neutres, fussent-ils nos plus proches parens intellectuels et même nos consanguins ! Je ne voudrais désobliger aucun de nos voisins. Mais, si amis qu’ils nous puissent être, on se heurte toujours, chez eux, à une réserve un peu défiante, à une sorte de quant-à-soi un peu égoïste. C’est comme une peur d’être envahi, ne fût-ce que par l’amabilité française. Ici, non seulement on ne se défend pas, mais on va généreusement au-devant de vous. Tout de suite, tête et cœur, on se trouve à l’unisson. Évidemment, dans l’arrière-fond des consciences, il y a bien encore des points obscurs ou délicats, sur lesquels on s’expliquera plus tard. Mais, dès le seuil, on se livre de part et d’autre, on se sent en confiance et en communion.

Qu’il n’en ait pas toujours été ainsi et que l’ennemi commun n’ait que trop exploité nos bisbilles, nous pouvons, Italiens et Français, en battre notre coulpe. En revanche, depuis l’agression brutale de l’Allemagne, on peut dire que la fraternité latine s’est refaite spontanément. Nos voisins ont tremblé pour