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ou raffinés, artistes ou paysans, sont les musiciens. Par un soir pluvieux, dans une rue de son village, le Giorgio du Triomphe de la Mort prend plaisir, « sombre plaisir d’un cœur mélancolique, » au chant des boulangers qui se mêle à l’odeur des pains, aux grincemens d’une guitare, à la ritournelle d’une chanson. Un matin, au contraire, un matin de mai, dans la vaste plaine que les genêts fleuris recouvraient tout entière d’un seul manteau d’or, il rencontra cinq jeunes filles. « Elles cueillaient les fleurs et elles en remplissaient leurs corbeilles en chantant. Elles chantaient un chant qui se déployait, avec des accords de tierce et de quinte, parfaits. Quand elles arrivaient à une cadence, elles relevaient leur buste de dessus les buissons, afin que la note jaillit plus libre de leur poitrine ouverte, et cette note, elles la tenaient longtemps, longtemps, se regardant les yeux dans les yeux, étendant leurs mains chargées de fleurs. » Favetta, la petite Favetta, conduisait le chœur. Brune comme une olive, sa voix était pure, fluide, cristalline comme une source. Elle chantait un distique et ses compagnes reprenaient le refrain. Toutes, elles prolongeaient la cadence, et leurs bouches se rapprochaient pour ne former qu’un même flot sonore. Ce matin-là, Giorgio, par extraordinaire, crut trouver dans la musique le secret de la joie.

Deux ou trois fois encore il espéra l’y surprendre, l’associant même à de plus augustes mystères. « Les chants des moissonneurs et des glaneuses se répondaient, de l’aube jusqu’au soir, sur les flancs de la colline féconde. Les chœurs masculins célébraient, avec une violence bachique, la joie des repas abondans et le bienfait annuel du vin… Mais les chœurs féminins se prolongeaient en cadences quasi religieuses, avec une douceur lente et solennelle, révélant la sainteté originelle de l’œuvre du blé, la noblesse primitive de ce travail, où la sueur de l’homme, en coulant sur la terre paternelle, consacrait la naissance du pain. » Même grandeur et même beauté symbolique dans les chants de bénédiction et d’actions de grâces, par où les moissonneurs encore accueillent les femmes qui leur apportent, marchant en double théorie et chantant elles-mêmes, les cruches pleines de vin.

Ainsi, pour le poète italien aujourd’hui comme autrefois pour un des nôtres, « une voix est dans tout, un hymne sort du monde. » Tout est musique et le fut toujours. Les plus