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recevoir sans souffrir. Les paroles s’y dissolvaient, y perdaient toute signification, s’y changeaient en notes d’amour et de douleur infiniment révélatrices. Comme un cercle qui serait clos, mais qui se dilaterait continuellement, selon le rythme même de la vie universelle, la mélodie avait enveloppé l’âme innombrable qui se dilatait avec elle dans une immense félicité. »

Sommes-nous assez loin de Wagner et de Tristan ! Si loin, qu’il nous semble toucher à l’autre pôle de l’art, à l’idéal contraire. Certes, de cette analyse d’un chef-d’œuvre italien, et de ce chef-d’œuvre même, il s’en faut que la passion, la douleur, fut-ce la mort, soit absente. Mais voyez comme un sentiment, un mot, y revient sans cesse, y commande, y triomphe partout : la félicité. Dans l’esprit du poète-musicien et dans son âme latine, jusqu’au fond de cette âme, voyez réapparaître, ou plutôt rentrer, en vainqueur, le génie de sa race. Du coup, son idée générale et comme sa conception de la musique en est modifiée. Alors qu’il parlait tout à l’heure d’ « une idée sonore, nette et forte comme une personne vivante, » ne rendait-il pas un hommage instinctif à la forme par excellence, à la forme arrêtée et plastique, à la forme-type de l’art musical italien ? Sans compter que, sur la perfection définitive de l’art germanique, un doute, une inquiétude maintenant lui vient : « Parmi les matières aptes à recevoir le rythme, la Parole est le fondement de toute œuvre d’art qui aspire à la perfection. Crois-tu que, dans le drame wagnérien, soit reconnue à la Parole toute sa valeur propre ? Et ne te semble-t-il pas que le concept musical y perde sa pureté primitive, par le fait qu’il dépend souvent de représentations étrangères au génie de la musique ? Certes, Wagner a le sentiment de cette faiblesse, et il l’avoue tacitement, lorsque, à Bayreuth, il s’approche d’un de ses amis et lui couvre les yeux avec ses deux mains, pour que celui-ci s’abandonne tout entier à la vertu de la symphonie pure et soit ravi dans une plus profonde vision par une joie plus haute. »

Plus loin maintenant, plus loin que Marcello même, voici que Stelio se plaît à remonter le cours des Ages, des âges fortunés de la musique d’Italie : « Il reste, s’écrie-t-il, il reste à glorifier le plus grand des innovateurs, celui que la passion et la mort sacrèrent Vénitien, celui qui a son tombeau dans l’église des Frari, digne d’un pèlerinage : le divin Claudio Monteverde… Voilà une âme héroïque, de pure essence italienne. » et déjà,