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chèrement et aussi de l’âme ancienne et continue de la France. L’invasion ne chapardait pas seulement les arpens du sol ; la défaite eût saccagé les siècles de la France et tout son génie élaboré par les siècles. Dans la tribulation, le précieux passé nous émeut, nous alarme. Lisez La Fontaine : et vous vous apercevrez que vous êtes attentifs nouvellement, ou plus intimement, à quelque chose de secret, de profond, de difficile à indiquer, non à sentir, et ne fût-ce qu’au son des mots français les plus parfaits et justes, arrangés au gré de notre pensée intacte et pure à merveille. La maison de La Fontaine à Château-Thierry, peu s’en est fallu que les hordes allemandes n’en fissent des décombres : et, pareillement, du génie de la France, qui est vivant, jeune et qui florit dans les poèmes de La Fontaine. Relisez La Fontaine et vous y prendrez un plaisir tendre et inquiet.


Le La Fontaine de M. Michaut n’est pas une révélation. M. Michaut n’apporte pas de documens inédits : il n’en a pas cherché ; sans doute n’en aurait-il pas trouvé. M. Michaut ne souhaite non plus d’interpréter d’une façon toute neuve et originale un poète que les critiques ont commenté sans relâche. Il a raison et suit, sans le dire, un conseil que donnait Sainte-Beuve, il y a cinquante ans : « Ne subtilisons pas sur nos grands auteurs ; n’imitons pas les érudits qui dissèquent à satiété les odes d’Horace et qui disent : ceci est plaqué, ceci ne l’est pas. Qu’en savent-ils ? Les plus fins sont conduits plus loin qu’ils ne le veulent et ne savent plus où s’arrêter… » Il s’agissait, pour Sainte-Beuve, de taquiner l’auteur méticuleux de Notes sur Corneille, Edouard Fournier, dit le furet des grands hommes. Et il l’admonestait ainsi : « Pourquoi remettre éternellement en question ce qui est décidé ? Pourquoi venir infirmer, même en des matières légères, ce qui est appuyé suffisamment et ce qui est mieux ?… » M. Michaut ne s’est pas établi le furet de La Fontaine. Il a une manière simple et franche de lire, de se faire une opinion, de la dire et, quelquefois, rudement. Il ne « subtilise » pas et, quelquefois, on le regrette. Il vous juge le poème sur La captivité de Saint Malc sans ménagemens et n’y trouve qu’un très ennuyeux mélange de vers cornéliens, devers galans et de vers « qu’on dirait bêtes par la Deshoulières. » Que de sévérité ! Mme Deshoulières ne bêle pas toujours ; et ce n’est pas bêler que d’invoquer, comme elle a fait, les bocages d’automne, dévastés par le vent, qui chasse


Jusqu’à l’heureux débris de vos frêles beautés !